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nouvelle, une politique à la fois analogue à celle du premier empire et différente. Cette politique, Napoléon III crut en découvrir le secret dans une idée moderne qui s’agitait au fond de tous les peuples, — dans l’émancipation et la constitution des nationalités. Affranchir les opprimés, distribuer les nations d’une manière équitable, rationnelle, définitive, était une tâche grandiose, qui eût laissé loin derrière elle les éphémères créations du premier empire. Chez un Bonaparte après 1815, de telles visions n’étaient pas une fantaisie accidentelle, une conception arbitraire, née du hasard des rencontres de l’exil ou sortie des méditations individuelles ; c’était un but désigné par l’ensemble des circonstances, un idéal imposé par la nature des choses.

Le congrès de Vienne avait lui-même préparé un nouveau rôle à la France, à la révolution, au bonapartisme. La France et Napoléon n’étaient pas les seules victimes de 1815 ; la sainte-alliance leur avait créé toute une clientèle de peuples asservis ou mécontens. Aux vaincus de Waterloo, elle avait donné un allié remuant, multiple, l’esprit de nationalité. Il semblait que la chute de Napoléon dût affranchir tous les peuples et rendre à l’Europe un repos durable avec une meilleure distribution des états. Il n’en fut rien. Les vainqueurs, dans le partage des dépouilles de l’empire français, jetèrent en Europe de nouveaux germes de révolution et de guerre. Pour être moins disproportionné et paraître plus stable que les créations démesurées de Napoléon, le système européen adopté au congrès de Vienne n’en semblait que plus odieux aux peuples qu’il sacrifiait. Ce qui avait été vaincu à Vienne, ce n’était pas seulement la France, c’était dans la moitié de l’Europe la nationalité au profit de la conquête et de la légitimité, deux choses qui le plus souvent reviennent l’une à l’autre. On ne s’en rendait pas bien compte alors ; mais tous les griefs contre les traités de 1815 se résumaient dans le partage arbitraire des peuples sans leur consentement, c’est-à-dire dans la violation de la nationalité. Par là, les traités de Vienne avaient fourni à leurs ennemis le moyen de les renverser.

Napoléon avait été le premier à saisir quels auxiliaires inattendus la sainte-alliance avait donnés à la France et à la révolution. Il le comprenait d’autant mieux que ce n’était pas pour lui une vue nouvelle, que pendant sa lutte contre la vieille Europe il s’était souvent servi de ce principe national vaincu avec lui, qu’il lui avait fait partout des avances, en Hongrie comme en Lombardie, qu’au milieu de sa course désordonnée il avait relevé à demi l’Italie et la Pologne, et leur avait fait espérer une indépendance complète. Personne ne pouvait mieux apprécier la force de ce sentiment nouveau, né des principes de la révolution et des souffrances de ses guerres. Sur le Pô et sur la Vistule, il l’avait