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genoux et dit : « Mon père, je vois que Dieu, malgré mon indignité, daigne me visiter par votre présence. » Le vieillard, après lui avoir donné sa bénédiction, ajouta : « Ma fille, prenez garde à vous désormais. Le malheur vous a frappée, sachez-le bien, parce que vous vous êtes laissé séduire à la malice de l’impie. Quittez donc cette opiniâtreté déraisonnable, et outre les trois conciles œcuméniques de Nicée, de Constantinople et d’Ephèse, acceptez celui de Chalcédoine. Retirez-vous de la communion de Dioscore et suivez celle de Juvénal, votre évêque. » Ayant ainsi parlé, il prit congé d’elle et se retira.

Ce qu’il avait ordonné à l’infortunée princesse fut exécuté de point en point. Elle fit sa paix avec Juvénal par l’entremise de Cosme et du chorévêque, et son retour à la foi de Chalcédoine y ramena aussi une infinité de laïques et de moines, naguère ardens fauteurs du schisme. Elle-même, la conscience tranquille désormais, se livra pleine d’ardeur et sans arrière-pensée d’ambition à l’achèvement des œuvres par elle commencées, elle en commença même de nouvelles. Pour perpétuer la mémoire du jour où la paix était rentrée dans son âme, elle fit construire une église de Saint-Pierre à une lieue environ de la laure d’Euthymius. Elle s’y rendait souvent pour prier, prenant plaisir à contempler les cellules disséminées dans le désert, séjour d’une quiétude que le monde ne lui avait pas donnée. Plus d’une fois on l’entendit s’écrier les larmes aux yeux : « Que vos maisons sont belles, ô Jacob ! et vos tabernacles, ô Israël ! » Au milieu de ces pieuses pratiques, Eudocie atteignit sa soixante-septième année, et, sentant décliner ses forces, elle voulut régler ses affaires et léguer à Euthymius une forte somme par son testament. Elle l’engagea donc à venir la voir dans sa tour, mais l’archimandrite s’y refusa. « Ma fille, lui fit-il dire, ne vous attendez plus à me voir en cette vie ; mais vous, pourquoi vous dissiper en tant de soins ? Je crois que le Seigneur va vous appeler bientôt à lui ; songez donc à vous recueillir pendant qu’il en est temps encore, et préparez-vous au terrible passage. Ne faites plus mention de moi en cette vie : je veux dire pour donner ou recevoir ; mais, quand vous serez allée au Seigneur, souvenez-vous de moi. » Le solitaire fixa, dit-on, l’automne suivant pour terme de la carrière mortelle de la pénitente, et la prophétie s’accomplit quelques mois après.

Les derniers jours d’Eudocie furent employés à faire de nouvelles donations aux églises, aux hôpitaux et aux monastères, ou bien à confirmer les anciennes. Le montant des sommes qu’elle y consacra dépasse toute croyance, et encore les historiens n’y comprennent-ils ni la dépense des constructions, ni le prix des vases sacrés. Elle