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où tu dois boire, tu ne paraisses point la connaître, toi qui viens de si loin puiser à un humble et obscur ruisseau. Tu as dans ton voisinage un homme divin, Euthymius ; consulte-le, fais ce qu’il te commandera, et tu seras sauvée. » Eudocie savait effectivement que le saint archimandrite Euthymius gouvernait une laure non loin de Jérusalem ; mais elle n’avait point songé à lui parce qu’il avait été en guerre avec l’intrus Théodosius. On appelait laure un ensemble de cellules assez distantes les unes des autres pour que les solitaires, sans être perdus dans le désert, pussent y mener la vie isolée des anachorètes, ce qui la distinguait du monastère, où ils vivaient en commun et logeaient réunis, comme l’indiquait leur titre de cénobites.

L’établissement d’Euthymius, simple et facile à édifier, changeait de lieu suivant les conditions de convenance et de sécurité, et il avait déjà parcouru plusieurs des déserts situés autour de Jérusalem et de la Mer-Morte. Ainsi l’archimandrite, ayant appris que Théodosius, inquiet de son influence, voulait le venir visiter, soit pour essayer sur lui sa faconde, soit pour embaucher ses moines, soit enfin pour paraître l’avoir gagné à sa cause, fit lever subitement ses cabanes comme un général en retraite fait de ses tentes, et décampa, lui, sa troupe et son bagage. Euthymius alors se transporta dans le désert le plus éloigné de Jérusalem, sauf à recommencer la même manœuvre à la première occasion. Quand l’intrus fut tombé, il se rapprocha, choisissant tantôt un canton, tantôt un autre. Sa laure de prédilection, qu’on appelait la laure de Pharam, était située à l’est de la ville sainte, du côté de Jéricho ; elle tirait son nom d’un village qui en était éloigné d’environ une demi-lieue.

Eudocie résolut d’y aller trouver le saint abbé ; mais ce n’était pas tout que d’avoir découvert sa demeure : la grande difficulté était de le voir lui-même et de pouvoir conférer avec lui, car Euthymius n’entrait jamais dans une ville, et l’accès de sa laure était interdit aux femmes. Eudocie, ne désespérant pas de réussir dans son dessein, fit construire en toute hâte une tour au plus haut du désert d’Orient, à 30 stades de la laure, vers le midi, afin de pouvoir y attirer Euthymius et l’y entretenir souvent. Lorsque la tour fut achevée, elle l’envoya chercher par Cosme, gardien de la vraie croix, accompagné du chorévêque, qui avait porté son message au stylite ; mais ils ne le trouvèrent point à sa laure : le farouche solitaire, sur la nouvelle des intentions d’Eudocie, s’était enfoncé plus avant dans le désert. Guidés par son disciple favori Théotiste, les deux prêtres finirent par le rencontrer, et après beaucoup de prières ils lui persuadèrent de venir à la tour, où l’impératrice l’attendait. A son approche, Eudocie se laissa tomber à