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prit ; le patriarche, peu patient, le fit fouetter en place publique et promener par les rues sur un chameau comme un malfaiteur. Le moine et l’archevêque devaient se retrouver un jour en face l’un de l’autre à Chalcédoine ; mais Théodosius ne garda pas rancune à un homme encore plus brouillon que lui, et qui d’ailleurs était le chef du parti qu’il allait soutenir. On le voit dès les préliminaires du concile se rendre à Nicée avec une troupe de moines palestins séduits par sa faconde, puis de Nicée à Chalcédoine, où il se signala parmi les plus fanatiques eutychiens ; il causa même par ses déclamations inconsidérées quelque trouble soit dans le concile, soit autour du concile. »

Il n’attendit pas la clôture de la session pour partir, impatient de regagner Jérusalem, où il espérait bien se mettre en scène d’une façon brillante. Ses compagnons, les moines palestins, partirent avec lui. Tout le long du chemin, il répandait les nouvelles les plus alarmantes pour la foi orthodoxe. « La foi est perdue, disait-il, et nous fuyons avec horreur un concile qui ordonne de reconnaître deux fils de Dieu, deux Christs, deux hypostases du Verbe qu’on serait tenu d’adorer. » Il propageait probablement aussi une traduction grecque de la lettre du pape Léon à Flavien où les expressions relatives aux deux natures avaient été altérées dans un sens nestorien, fausse traduction que le pape désavoua plus tard, mais avec laquelle on lui faisait la guerre en Palestine et en Égypte. L’émotion était grande dans tous les lieux où cette troupe passait. A Jérusalem, Théodosius, s’emparant de l’église de la Résurrection, y tint des prêches où il attaquait violemment le concile et dénonçait l’évêque Juvénal, resté à Chalcédoine, comme un hérétique et un apostat. « Comment, disait-il, Juvénal, assesseur de Dioscore à Éphèse, avait-il pu trahir son métropolitain à Chalcédoine ? Il fallait lui demander compte d’un pareil acte dès son retour, et, s’il ne se rétractait pas solennellement, le chasser de son siège. » Non content d’attaquer de la sorte et son évêque et le concile, Théodosius accusait encore l’empereur et l’impératrice Pulchérie de vouloir étouffer la vraie foi. Sa conclusion était qu’on anathématisât l’assemblée de Chalcédoine, ainsi que le pape, et qu’on résistât jusqu’au martyre aux ordres du gouvernement, s’il rendait obligatoire la définition de Chalcédoine sur l’incarnation. À ces discours d’opposant, il joignait quelques expositions dogmatiques marquées au coin de l’eutychianisme le plus pur. Il prétendait par exemple que Jésus-Christ n’avait point eu de chair véritable et semblable à la nôtre, et que l’essence même du Verbe avait souffert la croix et la mort. Une telle doctrine fit donner à ce sectaire et à ses partisans le nom de phantasmatiques, puisqu’elle réduisait le corps de Jésus-Christ à n’être qu’une illusion ou un simple fantôme.