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sulte ce que nous voyons depuis quelques semaines. C’est une mêlée indescriptible, où l’on finit par ne plus se reconnaître. Faute d’une direction supérieure et d’une idée nette des situations, on tombe dans une confusion agitée et stérile. On n’a plus même le sentiment de la proportion exacte des choses. On se détourne des questions les plus graves, et on grossit des incidens qui n’ont aucune importance. On confond tout, on brouille tout, on court après les interpellations, on se jette sur un changement de ministre comme sur une bonne fortune, on voit des crises partout, dans la moindre divergence qui peut s’élever entre l’assemblée et le gouvernement. Devant le pays qui attend, qui travaille, qui ne demande que le calme, on offre le spectacle d’une vie publique artificielle et fiévreuse où depuis quelques jours particulièrement se succèdent les scènes tumultueuses, comme ce vacarme que M. Saint-Marc Girardin a eu dernièrement à maîtriser par son sang-froid et sa fermeté. Et sait-on quelle est la conséquence ? Tout récemment on s’est mis à la recherche d’un régime définitif, on ne l’a point trouvé, on ne s’est pas senti la force de résoudre ce problème en effet fort redoutable ; aujourd’hui on s’occupe à ruiner ce régime provisoire qui est notre dernière ressource, de telle sorte que, si l’on n’y prend garde, avant qu’il soit longtemps on finira par se trouver entre un définitif insaisissable et un provisoire progressivement déconsidéré, livré à toutes les suspicions, devenu chaque jour plus difficile à pratiquer. Que restera-t-il après cela ? que veut-on faire de nous ? On ne peut pas ou l’on ne sait pas édifier la maison dans laquelle on a la prétention de nous loger, et on ébranle la tente qui nous abrite contre les derniers souffles d’une tempête qui pourrait renaître à l’improviste.

Il faut cependant arriver à savoir ce qu’on veut, il faut choisir. Si par une illusion suprême et obstinée on croit encore à la possibilité de fixer dès ce moment le présent et l’avenir de la France dans un régime d’institutions définies, il n’y a point à hésiter, il faut poser la question et mettre aussitôt la main à l’œuvre pour la trancher. Si, comme cela n’est que trop évident, on croit cette tentative impossible aujourd’hui ou tellement difficile, tellement périlleuse qu’elle ne résoudrait rien, et qu’elle pourrait tout compromettre, il faut savoir se décider, et le mieux encore est de ne pas se donner l’air de céder et de résister à la force des choses, de faire de la politique de mauvaise humeur. Ce qu’il y a de plus sage, c’est de s’arranger résolument, de façon à tirer le meilleur parti possible d’un régime qu’on appellera provisoire, si l’on veut, et qui en fin de compte est la souveraineté nationale dans ce qu’elle a de plus simple, de plus élémentaire. Voilà la vérité sans équivoque et sans subterfuge.

Sans doute ce régime n’est point dénué d’inconvéniens, il exige de la part de ceux qui sont chargés de le mettre en œuvre des ménagemens infinis, une patiente vigilance, un infatigable esprit de conciliation, une