Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lévation qu’elles créent dans l’âme est calme et sereine plutôt qu’enthousiaste. En même temps que l’âme s’exhausse par la vue prolongée de ces collines, elle se dilate par le spectacle des plaines larges plutôt que vastes qui s’étendent à leurs pieds, et se développe pour ainsi dire en ampleur dans la même mesure qu’elle se développe en hauteur; le résultat de cette ampleur et de cette élévation constantes réunies est cette majesté aisée qui distingue non-seulement le style, mais la forme du génie même de Buffon. En écrivant ces mots d’ampleur, d’élévation, de majesté, comment ne pas penser à cet autre illustre enfant de la Bourgogne, à cet incomparable maître de la parole, Bossuet? Toutes ces qualités sout aussi les siennes, et elles sont chez lui souveraines; mais le génie de Bossuet n’a pour ainsi dire que son point de départ en Bourgogne : l’envergure et le vol de son âme ont une tout autre ampleur et une tout autre sublimité que celles que nous venons de décrire. Il n’en est pas ainsi de Buffon, qui ne s’élève jamais plus haut que nous ne l’avons dit, et qui n’atteint jamais le sublime de l’expression, même lorsqu’il raconte ou explique des choses qui l’appelleraient naturellement. Aussi peut-il être présenté comme le miroir même de la nature de Bourgogne et comme le modèle accompli du génie propre à cette riche province.

Une autre réflexion me frappe encore du haut de cette tour de Montbard qui domine tout le paysage des environs : c’est que c’est à la configuration des collines et mamelons de Bourgogne que Buffon a dû cette observation pénétrante sur la correspondance des angles des montagnes qui joue un si grand rôle dans la Théorie de la terre et dans les magnifiques tableaux des Epoques de la nature. Nulle observation n’a eu pour son génie des résultats plus féconds, et on peut dire qu’elle est le point de départ de toutes les inductions qui composent son système géologique. Il remarqua que d’ordinaire les angles des montagnes se correspondaient, c’est-à-dire que, si l’une des montagnes présentait un angle saillant, celle qui lui était opposée présentait invariablement un angle rentrant, absolument comme il arrive aux bords d’un fleuve lorsque ses eaux ne coulent pas en ligne droite. Il n’est personne en effet qui n’ait constaté que, lorsque l’eau d’un fleuve ronge à un certain endroit une de ses rives en forme de golfe, invariablement le point correspondant de la rive opposée s’avance en saillie. De la ressemblance de ces deux faits, Buffon tira la conclusion qu’ils avaient évidemment la même cause, l’action des eaux. Cette observation, jointe à l’analyse des substances, à l’examen des coquillages et empreintes pétrifiées qui se rencontrent à l’intérieur et au sommet des élévations terrestres, lui fit rapporter à deux causes et à deux époques diamétra-