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un intendant de province, un politique. Où y a-t-il dans cette image un signe, une marque qui indique la nature des occupations intellectuelles, des services rendus, de la gloire acquise? Le véritable monument qui convient à un grand homme est celui qui peut le mieux rappeler le caractère de son génie à ceux qui savent et le faire comprendre à ceux qui ignorent. Ce principe posé, il n’y avait qu’un seul monument qui convenait à la gloire de Buffon, une fontaine colossale. Une fontaine monumentale présente en effet tous les moyens de multiplier les figures capables d’exprimer son génie et de représenter ses conceptions. Tout au bas du monument, les eaux qui se seraient échappées de cette fontaine auraient été recueillies dans un immense bassin de pierre où l’on aurait abreuvé les grands bœufs blancs aux formes pleines et majestueuses que je vois rentrer le soir à Montbard. Au-dessus de ce bassin se serait élevé le premier étage de la fontaine, un carré robuste soutenu par quatre grandes figures d’animaux, et orné sur chacun des côtés de quatre bas-reliefs représentant quelques-unes des grandes scènes de la nature judicieusement choisies parmi celles des découvertes et des descriptions de Buffon qui se prêtent le mieux à la représentation par les arts plastiques. Au-dessus de cet étage, un second plus étroit aurait été flanqué soit de deux, soit de quatre figures allégoriques représentant la Science et la Nature, la Vie et la Mort, ou d’autres emblèmes correspondant aux caractères du génie de Buffon. Enfin tout en haut, sous un dais de pierre, se serait élevée la statue du naturaliste. Voilà le monument véritable qui aurait parlé à l’imagination du dernier paysan, qui lui aurait pour ainsi dire imposé l’intelligence de cette gloire qui pour lui est lettre close, et le respect de cette grandeur qui pour lui est chimère vague; mais que peut lui rappeler la figure aride de cette statue solitaire, puisqu’elle ne dit déjà rien au lettré?

A l’époque où je me suis arrêté à Montbard, c’est-à-dire durant l’automne dernier, un sentiment de récente reconnaissance augmentait encore le plaisir que j’aurais éprouvé en tout temps à visiter la retraite studieuse et élégamment austère où ce grand homme a vécu et pensé loin des pauvres agitations de la stérile politique du XVIIIe siècle. Et à moi aussi, grâce à son œuvre immortelle, il m’a été donné d’échapper aux affreuses préoccupations de la plus misérable période de notre récente histoire. J’ai passé les longs mois de la mortelle commune plongé dans la lecture de l’Histoire naturelle, et jamais temps plus douloureux n’a passé aussi vite. Ce beau livre, le plus complètement beau qui ait été écrit au dernier siècle, m’a donc conféré le privilège de ne rien apprendre des exploits qui rendaient alors célèbres les noms de tant d’hommes obscurs. Il m’enle-