Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

carré. Certes il y a bien d’autres temples remarquables par l’impression de grandeur qu’ils laissent; mais cette grandeur, ils la doivent à telle ou telle disposition architecturale : ici l’impression de grandeur résulte simplement des dimensions géométriques de l’édifice. Pas de piliers massifs et colossaux, ou de colonnettes au vol rapide, pas de voûte hardie ou robuste, pas de chœur exhaussé au-dessus du parvis, pas de chapelles latérales; une surface également plane et quatre murailles nues, voilà tout. J’y pénètre à l’heure de la célébration des vêpres ; les officians et les fidèles qui sont à l’extrémité me font penser à ces épis restés debout dans les sillons lorsque la moisson a passé sur un champ, tant ils me paraissent clair-semés et comme égarés dans cet espace, qui pourrait contenir toute la population de Tonnerre, y compris celle de quelques communes voisines. Ce temple répond bien à sa destination, et porte bien le cachet de son origine; nu et imposant à la fois, c’est un temple des pauvres élevé par la main de la grandeur. C’est le temple des pauvres, c’en pourrait être aussi le palais, car on ne peut concevoir aucun lieu mieux approprié pour quelques-unes de ces fêtes populaires familières à l’ancienne église du moyen âge. Quelle belle salle par exemple pour un de ces festins de pauvres qui se célébraient autrefois ! On pourrait y réunir aisément tous les indigens du département de l’Yonne, et y inviter une partie de ceux de la Côte-d’Or par-dessus le marché. On n’a pas essayé d’orner cette église; qu’on ne l’essaie jamais, sa nudité lui va bien, et toute richesse trop apparente la déparerait. Je n’en veux d’autre preuve que cette statue de Marguerite de Bourgogne, sa noble fondatrice, qu’on a eu l’idée de placer à l’entrée du chœur, et qui y est comme égarée et dépaysée. Elle est vraiment de trop en ce lieu, et aurait dû être réservée pour quelque autre place, pour quelqu’une de ces belles pelouses vertes par exemple qui s’étendent autour de l’hôpital; ici il suffisait du tombeau de cette princesse, qui, placé à peu de distance contre une des murailles, rappelle son souvenir d’une manière bien plus chrétienne et plus conforme à la sainteté du lieu. Une leçon d’humilité sort du tombeau de cette princesse, ensevelie parmi les pauvres, qu’elle dota et nourrit; une impression de faste et d’orgueil humain s’échappe au contraire de l’effigie de sa personne vivante. Tout contre la muraille qui fait face au tombeau de Marguerite s’élève un autre monument, celui de Louvois, qui porta le titre de seigneur de Tonnerre pendant les huit dernières années de sa vie. Ce tombeau, qui au point de vue de l’art n’a rien d’ailleurs de bien remarquable, produit encore ici une impression des plus désagréables, et on le souhaiterait volontiers en tout autre lieu. Qu’a donc à faire dans la demeure des pauvres,