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au fond, sinon le droit présumé au consommateur ? Personne n’a contesté le droit au travail, mais aux risques et périls du travailleur. Ce que l’on ne saurait accepter, et ce que cache le droit au travail, c’est la prétention de forcer un consommateur quelconque à payer le prix d’une production dont il n’a que faire, en un mot c’est la consommation obligatoire.

Ainsi, malgré tous les efforts de l’esprit, on est toujours ramené à la nécessité de trouver un certain nombre de consommateurs non producteurs. Pourquoi ne pas l’avouer ? Pourquoi surtout maintenir un antagonisme plus apparent que réel entre deux classes également indispensables l’une à l’autre, rivales, mais non ennemies, et qui dans la pratique se mélangent et se confondent plus souvent qu’on ne le croirait d’abord ? D’un côté se rangent les agens de la production matérielle, comprenant les ouvriers et la main-d’œuvre en tout genre ; de l’autre, les agens de la partie intellectuelle du service social, dont un grand nombre concourt par le travail de l’esprit à la production matérielle. Cette seconde catégorie de consommateurs non producteurs directs, parmi lesquels figurent les rentiers complètement oisifs, beaucoup moins nombreux qu’on ne pense, consomme et paie les produits et le travail de la première catégorie, qui se trouverait fort au dépourvu, si ces précieux consommateurs disparaissaient, ainsi que le capitaliste, oisif ou non, le lettré, le militaire, l’ingénieur, le savant et l’artiste. L’ouvrier manuel leur doit beaucoup. Que serait le travail industriel, agricole et autre, privé de la direction et des fruits du labeur intellectuel, souvent pénible aussi et mal rémunéré ? Il y a là échange de services, ainsi que rétribution mutuelle, dans une réciprocité naturelle et logique, malgré de fâcheuses et inévitables inégalités. Loin que les intérêts de ces deux catégories soient contraires ou hostiles comme ceux des joueurs, pour lesquels la perte de l’un peut seule créer le gain de l’autre, la plus étroite solidarité se révèle, puisque tout l’avoir disponible des plus favorisés doit passer aux mains de ceux qui le sont moins. Le riche est un caissier donné par la nature à l’ouvrier. Supprimez le caissier, vous supprimez la caisse ; il ne reste personne pour payer les différences et acheter le surplus du travail ; les gains et les bénéfices ne sont plus possibles, sans compter que la science et l’étude ont besoin de loisirs et de certaines immunités.

Si l’on ne sait pas se résigner à reconnaître une vérité impopulaire et pourtant fondamentale, qu’on démontre clairement et par des chiffres une vérité différente. Toutes nos erreurs tiennent à ce que nous nous acharnons au culte exclusif d’une divinité négative, aussi stérile qu’impuissante en économie politique, l’égalité fondée