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vriers établis vendent directement leurs produits au consommateur et ne sont point comptés dans la catégorie des salariés, quoiqu’ils touchent pourtant la rémunération de leurs travaux manuels. On doit tenir compte aussi du mouvement des exportations et des importations, ainsi que du temps d’arrêt indispensable, si court qu’il soit, dans la circulation de la richesse, pour la formation de l’épargne ou des capitaux nouveaux.

De quelque façon qu’on propose une répartition socialiste et factice, en introduisant la question des salaires, celle du collectivisme, du mutuellisme ou toute autre, il n’y aura jamais annuellement à partager que les produits réels, se réduisant toujours à ces mêmes 7 milliards que nous avons déjà rencontrés dans la supputation des revenus, d’où résulte l’égalité entre le salaire, le revenu et les capitaux disponibles de la France. Ni la liquidation sociale, ni le partage communiste des biens ne produiraient aucun avantage pour les individus ou pour la généralité, parce que la seule richesse divisible et saisissable, répartie également entre tous, n’attribuerait évidemment à chacun qu’une quote-part inférieure au salaire moyen et aux ressources actuelles des classes laborieuses.


III.

On a vu contre quelles impossibilités viendrait échouer l’application des doctrines de nos réformateurs contemporains ; il faut arriver en outre à montrer l’utilité féconde, la légitimité des combinaisons de la civilisation moderne, bien qu’elle soit imparfaite sur beaucoup de points et onéreuse pour un trop grand nombre d’individus. Chacun s’empressera de reconnaître qu’il reste de nombreux progrès, de notables réformes à opérer ; mais ce que l’on doit rejeter comme pernicieux et irrémédiable, c’est le dessein arrêté de bouleverser notre organisation sociale au point de la détruire. La question des salaires, malgré l’extrême importance qu’elle présente, n’est en effet qu’un des élémens du problème social, dont les termes, selon nous, sont presque toujours mal posés. On ne va pas assez au fond des choses. La grande difficulté économique tient moins au manque de salaire qu’à l’insuffisance des consommateurs et à l’excès de la production.

Que voyons-nous avec certitude autour de nous ? C’est d’abord que le travailleur civilisé produit plus qu’il ne consomme. Comme contre-partie, le consommateur qui ne produit pas devient nécessaire, afin qu’il y ait bénéfice et rémunération pour la main-d’œuvre, ainsi qu’accroissement du bien-être individuel et de la richesse publique. Bastiat nous dit et nous répète que « dans l’isolement nos