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la richesse résultant des produits réels et celle qui n’est due qu’à la circulation. Quand on essaie de répondre aux théories socialistes qui réclament le partage universel, les 10 ou 11 milliards de circulation en sus des 7 milliards de produits doivent être soigneusement écartés de la répartition fictive, dont nous venons de donner les résultats absolument nuls et négatifs.

Pour être claire, scientifique et rationnelle, la comptabilité sociale devrait être tenue en partie double et constater que 20 francs cinq fois touchés, transmis et dépensés, font bien 100 francs à l’inventaire des particuliers, mais ne font que 20 francs à l’inventaire général de la collectivité nationale, et sont seuls susceptibles d’être soumis à un partage. En ce genre, on commet d’ordinaire certaines inexactitudes; quelques évaluations de la statistique, parfois même officielle, donnent lieu à de singulières confusions. Tel fermier vend pour 10,000 francs de blé à la halle de Paris, on inscrit 10,000 fr. au compte des affaires de Paris; il paie 10,000 francs de fermage, on inscrit à l’actif du revenu agricole de Seine-et-Oise 10,000 fr. Cela ne fait pas 20,000 francs pour le produit général et réel de la France, cela n’en fait que 10,000 dans l’année. Un ménage jouit de 30,000 francs de rente; dira-t-on que cela fait 30,000 francs de revenu pour le mari et 30,000 francs pour la femme?

De même le capital et le salaire sont en quelque sorte mariés; ils jouissent de la même fortune, et pour eux le divorce ou la séparation de biens est impossible, quoiqu’ils fassent parfois mauvais ménage. Aussi, lorsque les statistiques nous disent que la France rend annuellement 15 ou 18 milliards de produits, il faut bien convenir, avant d’accepter ce chiffre, de ce qu’on entend par produit; doit-on y comprendre les revenus, les salaires, les intérêts et les bénéfices? Tout produit est vendu deux fois au moins dans le même exercice, une première fois par le travailleur au fabricant ou au commerçant, qui le paie en salaires par avance, et une seconde fois au consommateur, qui le paie au commerçant après livraison. Lors même que les intermédiaires seraient supprimés, que la vente serait directe de l’ouvrier au consommateur, les faits demeureraient les mêmes, et l’on ne pourrait pas moins inscrire 7 milliards à l’article vente ou production, et 7 milliards à l’article achat ou consommation ; dans un cas comme dans l’autre, ce sont toujours les mêmes 7 milliards deux fois comptés.

La recette et la dépense d’un particulier ne sont pas du tout la même chose, et restent très faciles à distinguer. Un rentier touche dans l’année en revenu et en remboursement 9,000 francs, il dépense 9,000 francs, la balance est égale ; 9,000 francs sont entrés dans sa caisse, autant en est sorti, reste zéro. Qui aurait jamais