Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un coup de baguette les forces productives du sol. Il faut remarquer en outre que les propriétaires actuels possédant au-delà d’un hectare environ seraient obligés de rapporter le surplus à la masse, parce qu’il n’existe tout au plus que 40 millions d’hectares cultivables en France. Quant à la propriété foncière collective et à la culture par délégation gouvernementale ; c’est une question jugée et rangée déjà au nombre des pures utopies. Ainsi on pourrait dépouiller les propriétaires, mais non sans un immense et irrémédiable désastre frappant le pays tout entier, les pauvres comme les riches, et cela pendant de longues années, car un siècle, plus peut-être, ne suffirait pas pour nous faire retrouver nos richesses.

En réalité, les combinaisons économiques d’aujourd’hui ne s’écartent pas autant qu’on le pense de la formule socialiste ou communiste qui veut que toute propriété privée revienne à la collectivité. Bien que la propriété privée soit acquise ou possédée en vertu de l’achat ou de l’héritage, elle appartient pourtant en un certain sens à la collectivité, dont elle reste le domaine utile et éternel, puisque, sous forme d’impôt, chaque génération paie à la collectivité la valeur totale du capital représentant la pleine évaluation de la propriété mobilière et immobilière, en quelque sorte revendue par l’état et rachetée par les particuliers à perpétuité. Avant l’augmentation des impôts, due aux désastres de la guerre, la collectivité prélevait en quatre-vingt-dix ans la valeur totale des biens possédés. Aujourd’hui que notre budget se monte à 2 milliards 750 millions, en défalquant la part des impôts de consommation supportés par les ouvriers, on trouve que la fortune et la propriété paient la totalité de leur valeur en soixante-treize ans et neuf mois, avant que les vieillards de chaque génération aient atteint la plénitude de leurs jours[1]. Si l’on prend la propriété foncière à part, c’est en trente ans que l’état en prélève par l’impôt la valeur totale. On pourrait donc avancer qu’à chaque génération ce n’est pas la richesse qui paie la dîme de ses biens à la collectivité, mais au contraire que c’est la collectivité qui ne laisse à la richesse que la dîme de la propriété et des fortunes.

A supposer même que les doctrines communistes fussent appli-

  1. Le budget actuel de la France, soit 2 milliards 730 millions, multiplié par soixante-treize ans et neuf mois, donne un total de 203 milliards; en défalquant un tiers de cette somme, soit 08 milliards pour les impôts de consommation payés par les classes laborieuses comme par les autres, il reste 135 milliards, qui sont payés à l’état par la fortune et la propriété. L’inventaire de la France étant porté généralement à 145 ou 150 milliards, la collectivité absorbe donc à chaque génération la totalité de la valeur des biens possédés, sauf une somme bien moindre d’un dixième laissée comme bénéfice aux détenteurs de la fortune publique et privée.