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imposaient jadis par la force leur est offert aujourd’hui comme un tribut volontaire. Il n’y a pas d’égalité, même dans l’enfance. A Oxford, les étudians nobles se reconnaissent à un détail de costume. A Eton, quand un écolier va faire ses adieux au maître, il trouve dans l’antichambre un plat couvert de billets de banque. Il y dépose de 10 à 15 livres sterling, s’il est roturier; s’il est titré, il va jusqu’à 50. Les nobles paient tous les ans 12 guinées au head-master, le double de la rétribution ordinaire[1], traduction un peu plate du fameux adage « noblesse oblige. » Ces respects d’exception qui déforment la droiture naturelle de l’enfance, tant de détails vulgaires de préséance, de pantomime servile, sont devenus naturels. Les âmes sont pliées à l’admiration volontaire et à l’adoration naïve. Le spectacle de tant de vies qui sont des combats et ne se hissent au pouvoir et à la fortune qu’à travers les souffrances, les hasards, a moins de charme pour des imaginations naturellement sombres que celui d’existences pleines, faciles, heureuses, sans doutes et sans craintes. Les yeux se tournent volontiers vers les lampes dont la flamme égale ne vacille jamais.

On trouve le même sentiment mêlé aux instincts les plus bas dans cette partie très nombreuse de la petite bourgeoisie qui se plaît aux courses, aux paris, aux jeux de toute sorte. Elle voit, elle cherche dans le lord non pas l’homme politique, le législateur, mais l’homme de plaisir; elle l’aime prodigue, dissipé, beau joueur, un peu vicieux, d’allure insolemment familière. Les nouveaux riches envoient leurs enfans dans les grandes écoles, à Oxford, chercher la familiarité des enfans de l’aristocratie; ils encouragent bien plus qu’ils ne blâment toutes les extravagances que se permettent leurs aînés en bonne compagnie. Que leurs fils obtiennent des honneurs universitaires, ce n’est pas ce qui les touche le plus; ce qu’on leur demande, c’est de rapporter dans le cercle bourgeois des noms, des souvenirs. Les fils des nouveaux riches remplissent les universités : ils y donnent le ton autant qu’ils le reçoivent; c’est là qu’on peut étudier à sa source le principe fondamental de la société anglaise, qui est le mariage de l’aristocratie et de la richesse.

Et pourtant, si la noblesse a quelques ennemis, c’est dans la bourgeoisie qu’il faut les chercher; mais ce n’est pas dans la bourgeoisie à peine parvenue, c’est plutôt dans celle qui a elle-même déjà une sorte d’assiette et de tradition, dans les rangs de ceux qui reçoivent en plein visage les rayons du soleil aristocratique, qui connaissent le mieux la noblesse, ses défauts, qui sont le plus souvent contrariés par ses privilèges. Deux hommes ont été élevés en-

  1. Papers on public school education in England in 1860, by M. J. Higgins.