Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ter ce qui leur manquait par des vertus plus achevées, par une culture plus intensive, si je puis me servir de ce mot; elles ont perdu à cet effort un peu de grâce, elles y ont gagné plus de finesse. Le type au reste est aujourd’hui indépendant; il ne tire plus rien de son origine, semblable à ces oliviers aux larges rameaux dont le tronc est réduit à une mince écorce.

Le propre d’un idéal, c’est de dominer la réalité, de servir aux faits de contraste en même temps que de modèle. Si l’on doit accorder à l’aristocratie anglaise le mérite de s’être tenue aux plus hauts étages et d’avoir en tout temps offert au pays des modèles dignes d’être suivis, il est juste aussi de la rendre responsable des maux qui sont toujours attachés aux privilèges. Si ces maux ne sont pas plus apparens, c’est qu’ils ne frappent directement que la partie la plus intelligente et la plus cultivée de la nation; encore celle-ci en a-t-elle à peine conscience. L’idée pure du droit et de l’égalité ne peut traverser les mailles serrées des notions artificielles; elle est sans cesse voilée par le respect, la fiction, par un certain genre de patriotisme superstitieux. On est tout surpris en Angleterre de n’entendre jamais attaquer le droit d’aînesse, qui chasse chaque année hors de leur pays tant d’hommes obligés de chercher fortune. Celui que le hasard de la naissance n’a point favorisé, le bâtard de la fortune, va sans se plaindre au-devant des combats et des aventures de la vie. L’effort perpétuel cesse d’être pour beaucoup une douleur et devient presque un besoin. Le marchand, le négociant, ne s’arrêtent pas volontiers sur le chemin de la richesse, ils veulent toujours monter plus haut; ils ne savent pas, ne veulent pas se reposer. A vingt ans, on est trop confiant et trop généreux pour accuser le droit d’aînesse ; à cinquante ans, on n’attaque pas ce qu’on a toute sa vie, de la bouche au moins, défendu. Le plaisir qu’on éprouve à défendre le droit est plus difficile à goûter que le plaisir de se sentir supérieur à l’injustice, joie négative, muette et hautaine, qui convient bien à des natures discrètes. Ainsi toutes les passions humaines, les meilleures comme les plus mauvaises, sont liguées pour soutenir le privilège, — la fierté, la générosité, l’esprit de famille et de caste, le besoin d’agrandir sans cesse cette Angleterre du dehors qui sert à la gloire et à la richesse de la vieille Angleterre, l’ardeur au travail, le besoin de se repaître au moins par la vue, si on ne peut le faire par la possession, de splendeurs matérielles éclatantes et de richesses qui nulle part n’ont d’égales.

Au-dessous du souverain, les lords sont ce qu’il y a de plus élevé dans la nation. Pour la multitude, pour le paysan, pour le boutiquier, pour le radical même, le lord n’est pas un homme comme un autre. On n’a pas d’autre nom à donner à Dieu. Le respect que les barons