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aux plaintes vaines, aux indiscrètes imprécations des peuples du midi. On sent, on devine en tout homme une vie cachée; les cœurs ne sont point des portes dont les gonds sont usés. Les amours, les haines sont silencieuses. La conscience, enfermée sous des enveloppes plus épaisses, est plus délicate, plus tendre, plus morbide. Les mots sont mesurés, parce que les mots sont des actes. L’Anglais remplit les devoirs de l’amitié avec un soin scrupuleux qui fait trop penser au devoir, pas assez au plaisir. Il en est ainsi pour son hospitalité; il se doit à lui-même de bien traiter son hôte : il lui montre fleurs, tableaux, chevaux, tout ce qu’il possède, — de lui-même, peu de chose. Dans un pays d’aristocratie, le type du gentleman représente le principe d’égalité; la moindre nuance de servilité, de flatterie, l’émotion instinctive devant le titre ou la richesse, l’imitation, l’affectation, sont des dissonances. Toute imitation est vulgaire, toute affectation blesse la sincérité. Tout au plus peut-on admettre un certain genre de gaucherie qui ressemble à de la pudeur; mais l’idéal est dans le parfait équilibre entre l’être et le paraître, entre la pensée et l’action, dans une sécurité paisible qui ignore plus encore qu’elle ne dédaigna tous Les faux-semblans, les hommages injurieux, le luxe inutile des vanités. C’est ainsi que la vertu, l’honneur, la culture de l’esprit, ont fait naître une certaine égalité au sein même des privilèges. De même que dans l’ancienne noblesse militaire française tout gentilhomme valait un gentilhomme, dans la société anglaise un gentleman vaut un gentleman.

Vous trouverez le gentleman aux États-Unis comme en Angleterre ; toutefois il reste à la civilisation anglaise la gloire d’avoir produit l’idéal moral d’où ce type devait sortir. Il n’est pas vrai que l’aristocratie anglaise soit ouverte à tous : elle n’est ouverte qu’à la richesse. Il y a un certain degré de pauvreté, — qui ailleurs ne s’appellerait pas la pauvreté, — qui déclasse, qui rejette l’homme dans une espèce de gouffre où il s’enfonce, inconnu, non pas méprisé, mais oublié, pareil à une chose sans nom, épave humaine qui flotte quelque temps sur la misère; au-dessus, malgré la diversité des conditions, une sorte d’égalité peut naître, fondée sur quelque chose de presque indéfinissable, sur la culture de l’esprit, sur le raffinement des sentimens, sur une certaine vision morale qui se mêle aux visions grossières des sens. Je ne sais pas si l’on ne trouverait point dans la haute bourgeoisie anglaise les représentans les plus parfaits de l’idéal, bien qu’il ait été créé au sein de la société aristocratique. Comme une tache d’huile qui s’étend, l’idéal a depuis longtemps débordé l’aristocratie, il a gagné la bourgeoisie riche, puis la petite bourgeoisie elle-même. Les classes moyennes ont cherché à rache-