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nité clément les faits, les annule, les insulte; une certaine finesse perverse l’éloigné des causes trop victorieuses et des triomphes trop pleins. Une certaine noblesse l’attache aux grandeurs d’illusion, d’imagination, aux chimères dont le temps inflexible emporte les lambeaux. L’Angleterre n’aime point à renverser ses idoles, elle les hisse devant l’humanité et cherche à les faire paraître plus grandes; elle prend tout au sérieux et n’a pas besoin du moindre effort pour admirer tout ce qui est heureux, tout ce qui est fort. En France, on ne courtise que ce qu’il y a de plus puissant; en Angleterre, on courtise tout ce qui est puissant. Tout ce qui surgit des classes moyennes est immédiatement absorbé par l’aristocratie. Celle-ci se rajeunit ainsi sans cesse : un peu de sang saxon vient constamment se mêler au vieux sang normand. L’aristocratie est comme une forêt dont les troncs laissent tomber les branches mortes et portent chaque année de nouveaux rameaux. Les filles nobles ne dérogent pas en épousant des hommes sans titre. Dans la même famille, les uns ont un titre qui confère un privilège politique, les autres des titres de simple courtoisie, les autres n’ont aucun titre, aucune particule. Des hommes nouveaux portent des titres anciens; des familles très anciennes n’ont aucun titre. Le rang est recherché, mais la fortune l’est encore plus; on ne comprend pas la noblesse dans la gueuserie. Les jouissances d’imagination ont peu de prix, séparées des plaisirs et des avantages que donne la richesse. Il y a des patriciens, il n’y a point de race patricienne. Le grand seigneur anglais ne ressemble pas plus au grand d’Espagne, dans les veines duquel ne coule plus qu’un mince filet de « sang bleu, » qu’aux valets anoblis des gouvernemens absolus, généraux d’antichambre, favoris de boudoir, gent sordide, mendiante et vénale.

Tout le monde ne peut pas devenir noble en Angleterre : cela n’est vrai que des riches, mais tout le monde peut espérer de devenir riche. Si la richesse ne mène pas toujours aux honneurs, elle en est le chemin le plus sûr. La possession d’un certain nombre d’hectares francs d’hypothèques semble à tout Anglais le titre le plus naturel à la pairie. Les pairs nommés par lord Palmerston, lord Derby ou M. Gladstone sont, comme ceux de M. Pitt, de grands propriétaires. Le mariage entre l’aristocratie et la richesse est devenu même plus intime de nos jours. Si noble qu’on soit, il faut être riche. Les chemins de fer, le grand commerce, l’industrie, font trop de parvenus heureux : il faut lutter avec eux. Aurait-on vu, il y a cinquante ans, dans un journal le paragraphe que je relève : « Le comte de L..., ayant été nommé pair représentatif d’Ecosse, se retire de la banque de M. M...; il est remplacé par son fils, lord K...