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aurait pu, au moyen de longs baux, frustrer les héritiers. Les créanciers n’eurent plus de gage pour le recouvrement des dettes. Le statut de donis rendit la rébellion plus facile, car le fief taillé ne put être confisqué, et fut seulement mis sous séquestre pendant la vie du propriétaire condamné pour haute trahison.

Un roi politique éluda une loi qui avait donné à la noblesse territoriale un pouvoir exorbitant. Il permit d’instituer des procédures factices entre des représentans du donataire et les propriétaires, au moyen desquelles on put convertir un fief taillé en fief libre. Cette opération se nomme barrer la taille (to bar the entail), elle met à néant toutes les servitudes, tous les droits de succession ou de réversion. L’immunité des fiefs taillés contre la confiscation prit fin aussi sous le roi Edouard IV; il l’enleva à la noblesse, et rendit ainsi les révoltes moins faciles. Sous le règne d’Henry VIII, on inventa un deuxième mode de procédure factice qui facilita encore l’aliénation des propriétés en permettant dans certains cas au possesseur de dépouiller ses successeurs ou les héritiers du donateur des privilèges que leur accordait le statut de donis. Plus tard, la couronne put mettre la main sur les fiefs entaillés pour le recouvrement de ses propres créances; enfin aujourd’hui la loi permet à tous les créanciers de mettre en vente les biens d’un banqueroutier.

Les anciennes procédures fictives ne sont plus employées pour affranchir les fiefs taillés; le tenancier peut rentrer dans la pleine propriété, s’affranchir entièrement par un simple acte enregistré en bonne forme. Cette faculté est rarement absolue, et voici de quelle façon la famille se protège contre l’individu. L’enrichi qui veut fixer son nom à une terre, ou le père qui marie son fils, ne laisse d’ordinaire la propriété dont il dispose qu’en usufruit : on fait ce qu’on nomme un settlement ; par cet acte, la terre est laissée au fils en usufruit, au petit-fils à l’état de propriété non point absolue, mais entaillée. Le fils jouit de l’usufruit; quand le petit-fils arrive à la majorité, il peut, avec le consentement de son père (ou de toute personne que le premier donateur a constituée protecteur de la terre) rompre la chaîne, et entrer dans la pleine possession avec tous les droits qui s’y attachent. Ordinairement on n’use de cette liberté que pour faire un nouveau settlement : le propriétaire libre redevient donateur, laisse à son fils un usufruit, à son petit-fils une propriété entaillée qu’il peut affranchir à son tour avec le consentement du protecteur. Il y a ainsi comme une succession périodique d’états dans la possession. La chaîne qui noue les générations n’est pas absolument rigide, mais elle les lie cependant assez fortement pour que la terre ne puisse sortir trop vite ni trop aisément d’une seule main.