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à la nature elle-même. La mer n’a jamais empêché l’Angleterre de se mêler aux affaires du continent, mais, depuis la conquête normande, la Grande-Bretagne n’a pas été envahie : elle a porté la guerre au dehors ; elle a frappé l’Europe, cherché le défaut de la cuirasse tantôt chez la France, tantôt chez l’Espagne, tantôt chez la Hollande. Ses coups irréguliers, inattendus, ont plus d’une fois fait pencher la balance. Ses grands hommes de guerre, Marlborough, Clive, Wellington, sont toujours, pour ainsi dire, venus à point. L’Angleterre est comme un témoin attentif qui sait se faire combattant à propos ; toutefois sa noblesse et son peuple n’ont pas été condamnés à la guerre perpétuelle. Elle tire une sorte de gloire à être toujours prise au dépourvu et à tout obtenir, après le premier péril, de sa ténacité farouche et de sa froide audace. Elle n’a pas conquis, lambeau par lambeau, toutes ses provinces. Son unité nationale a été de tout temps assurée ; elle n’a jamais eu besoin de se chercher elle-même : combien d’autres nations ont dû au contraire lutter pendant des siècles non pas même pour vivre, mais seulement pour naître et pour obtenir un nom ! Aussi le métier des armes n’a jamais été considéré en Angleterre comme le seul qui pût convenir à un gentilhomme. L’armée n’a été longtemps qu’une sorte de garde royale, aujourd’hui encore elle est l’armée du roi ; le souverain, quand il lui plaît, peut déposer un officier-général. Cependant la jalousie des parlemens a empêché l’armée de devenir un instrument de servitude. Le corps d’officiers, principalement formé de cadets de famille, est tout imbu de l’esprit des classes gouvernantes. L’aristocratie a rempli l’armée de son esprit ; elle en est restée maîtresse, loin que celle-ci pût l’asservir. La marine est bien la marine de la nation, elle s’appelle la « marine britannique ; » c’est la vraie défense d’une terre isolée, l’instrument le plus hardi, le plus terrible de sa puissance. Mais quelle a toujours été la plus haute récompense des marins comme des hommes de guerre ? Ç’a été d’être admis dans les rangs des législateurs héréditaires.

Le génie des derniers conquérans explique bien pourquoi l’Angleterre est toujours restée belliqueuse, sans être vraiment militaire ; si les Normands aimaient la bataille, ils aimaient aussi le butin. En Normandie, en Italie, en Sicile, en Angleterre, on les voit toujours les mêmes, jaloux de « gaigner, » amoureux de la terre. Pendant les croisades, ils oublient volontiers la terre-sainte et le tombeau du Christ ; la folie celtique et latine n’emporte point ces froides raisons aux pays des chimères et de l’imagination. Cette race du nord, trempée dans le froid, matérielle, avide, de fibre un peu grossière, ne lâche pas volontiers la proie pour l’ombre. Les conquérans chrétiens de la Sicile n’ont point de fanatisme, ils ne