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ramener en face de la nature. Les dieux du vieil Olympe n’exerçaient plus là leur empire, et, quant aux divinités barbares, leur action, comme leur essence même, était par trop obscure. Nous avons assisté, grâce à des témoignages directs, c’est-à-dire en relisant les pages émues des écrivains de l’antiquité, aux vives impressions que l’aspect d’un monde nouveau avait fait naître; nous avons vu combien de spectacles merveilleux ou terribles, jusque-là non soupçonnés, avaient dû remuer jusqu’en leurs profondeurs la conscience et l’intelligence des peuples classiques, déplacer pour ainsi dire l’axe de l’esprit humain, et lui montrer des chemins encore non frayés.

C’est d’ailleurs le temps où le commerce pénètre de la Méditerranée jusqu’en Chine et aux Indes; Strabon a recueilli des informations jusque sur l’Afrique équatoriale, Pline l’Ancien et lui ont repris celles de Pythéas sur la Baltique et peut-être sur le haut nord. Mille échos arrivent des pays et des temps les plus divers : avec Lucien et Apulée commencent les récits romanesques; avec Pline et Sénèque se montre une insatiable curiosité interrogeant la nature. C’est le temps où l’esprit antique, qu’avait honoré déjà, il est vrai, dans cette voie un Aristote, s’ouvre clairement à la doctrine de la science. « Il reste beaucoup à faire, s’écrie Sénèque, et, cela accompli, il restera beaucoup à faire, et, après le travail de mille siècles, ceux qui viendront pourront ajouter encore. » C’est le temps où le stoïcisme, aidé de la paix romaine, a proclamé les grandes idées de patrie, d’humanité, de liberté morale et de communs devoirs. C’est le temps enfin où, avec les esprits, les âmes vont s’ouvrir à la vraie lumière du christianisme. Il n’a pas pu être d’un inutile concours à ce principal moment de l’histoire que la barbarie germanique se révélât alors, et que fût soulevé en ce temps même un coin du voile qui couvrait le cosmos.

Ainsi se rapprochaient à leur insu, mais non jusqu’à se confondre jamais, deux génies profondément distincts. Le génie classique, résumant la civilisation de l’Orient et de la Grèce, s’est nourri de presque toute la sève indo-européenne. Il a eu pour privilèges la conception et la diffusion des idées générales. Ces idées, il les a traduites en philosophie et en morale par des systèmes élevés ayant pour base une vue spiritualiste de la nature et une intelligence théorique de la communauté des droits et des devoirs, — en politique par des ébauches savantes d’administration centralisée, qui n’ont toutefois jamais atteint la pratique ni la doctrine du gouvernement représentatif, tel que l’a compris l’esprit moderne. Elles l’ont conduit à une claire perception et à une expression parfaite du beau dans les arts plastiques, parce qu’elles lui révélaient un