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sens de l’ouïe et le sens de la vue, facilement explicable. En voyant ce ciel couvert de flammes, dit-il, ces lueurs aux transformations rapides, ou bien ces rayons formés en un instant, qui traversent le ciel comme des fusées avec une vitesse effrayante et qui étincellent d’une très vive lumière, il est naturel qu’on rapporte par erreur au sens de l’ouïe les seules perceptions du sens de la vue, et qu’on s’imagine entendre un pétillement. On s’expliquerait d’ailleurs sans trop de difficulté un tel bruit là où l’électricité joue évidemment un si grand rôle. Ce qui est certain, c’est que le nombre est considérable, au moyen âge et dans l’antiquité, de récits superstitieux ou légendaires qui s’interpréteraient par l’aspect mal compris des aurores boréales. Telles seraient certaines circonstances de la tradition, si populaire chez les peuples germaniques, sur le chasseur invisible, Odin, le Freischütz, ou Robin Hood. Dans la région qu’il traverse, les nuages s’illuminent de sinistres clartés, et l’on entend au loin les aboiemens des chiens et le sifflement des traits au milieu des airs. Grégoire de Tours raconte qu’un jour une lumière fulgurante enflamma tout à coup l’atmosphère, et qu’il y eut, tant qu’elle dura, comme le bruissement intense d’un arbre au vaste feuillage tombant au travers d’une forêt. Un chroniqueur parle d’une colonne bleue qui apparut au ciel, et de laquelle semblait sortir un bruit de flèches dardées à l’entour. Faudrait-il expliquer par l’aurore boréale et ces curieux récits et tant de singulières expressions des écrivains de l’antiquité, les cœli hiatus et les cœlestia prœlia de Pline, les arma crepitantia cœlo de Tibulle et d’Ovide, les souvenirs analogues consignés par Virgile et Tacite? S’il en était ainsi, nous aurions un nouveau et précieux témoignage des impressions que la vue du ciel septentrional avait produites sur l’imagination des Romains.

De cette lumière du nord, quelques anciens croyaient voir des cristallisations délicates et charmantes dans la curieuse matière de l’ambre, qui se recueille en si grande quantité sur les côtes de la Baltique, et dont Tacite nous rappelle que les Romains, comme toute l’antiquité, étaient avides. L’ambre peut être considéré comme ayant joué un grand rôle dans l’histoire antique du commerce, et par conséquent de la civilisation. Les plus anciennes sépultures, égyptiennes, orientales, étrusques, nous montrent combien il était précieux au luxe des premiers peuples. Les Phéniciens le recherchaient avec avidité pour le transmettre aux Grecs, qui aimaient à s’en parer dès le temps d’Homère. Par quelles voies et dans quels lieux les navires de Byblos ou de Tyr venaient-ils charger leurs cargaisons? Tacite, en mentionnant la tradition de nouvelles colonnes d’Hercule sur la côte nord-ouest de la Germanie,