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s’y former jusqu’à atteindre le ciel et les astres. Il n’est pas facile assurément d’interpréter cette réponse, et nous devrons attendre du grand écrivain des notions morales, d’éloquentes et vives peintures, plutôt que des enseignemens météorologiques. Tacite revient dans sa Germanie à ce même trait du climat septentrional, observé non plus à l’extrémité de la Grande-Bretagne, mais sur les côtes lointaines de la Baltique, et cette fois il ajoute à son récit quelque mention des légendes que la réalité mal comprise avait enfantées dans l’imagination populaire, a Au-delà des Suiones, dit-il, est une mer qu’on croit la limite et la ceinture du monde, parce que les dernières clartés du soleil couchant y durent jusqu’au lever de cet astre, et jettent assez de lumière pour effacer les étoiles. La crédulité ajoute qu’on entend même le bruit qu’il fait en sortant de l’onde, qu’on aperçoit la forme de ses chevaux et les rayons de sa tête. » Virgile disait déjà, usant d’une métaphore qu’expliquaient de vieilles croyances superstitieuses, qu’on voyait sur les rivages de la Scythie le soleil laver son char dans l’Océan rougi de ses feux,

Præcipitem Oceani rubro lavit æquore currum.

Le génie romain, peu inventif, ne savait que faire appel à tout l’antique appareil de la mythologie classique en présence de manifestations incomprises. Déjà cependant, devant une nature différente, ses comparaisons prenaient d’autres tours et admettaient d’autres élémens : de nouvelles sources s’ouvraient pour l’imagination romaine. Ce serait à nous à deviner si, en divers cas, elle n’a pas voulu rendre des impressions dues au seul aspect du ciel germanique. N’y aurait-il pas déjà quelque allusion par exemple, dans ce dernier passage de Tacite, au spectacle merveilleux des aurores boréales?

Personne n’ignore combien de formes singulières affectent ces apparitions magnétiques, beaucoup plus fréquentes et complètes dans le nord que partout ailleurs. Tantôt ce sont des flammes répandues par tout le ciel et qui convergent vers un centre constant, dégagé de lueurs, tantôt au contraire un foyer de lumière intense darde d’éclatans rayons; ou bien un vaste mur incandescent se replie en formant des sinuosités aux vives arêtes, ou des séries de colonnes aux couleurs changeantes se dressent pour se dissoudre bientôt dans un océan de feu. Est-il vrai, comme on le dit, que les aurores boréales soient accompagnées d’un bruit semblable à la crépitation des étincelles électriques? M. Silieström, un des membres de la mission dirigée par M. Gaimard de 1838 à 1840, s’abstient de rien affirmer à ce sujet; il est disposé toutefois à se défier d’une confusion entre le