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Loin de mollir en effet, la conduite de Nogaret continuait d’être le comble de l’audace. Il déclarait hautement de Ferentino que la mort de Boniface n’avait pas interrompu les poursuites qu’il était chargé d’intenter contre lui. Les crimes d’hérésie, de simonie, de sodomie pouvaient se poursuivre contre les morts ; les fauteurs de Boniface, ses héritiers, étaient des coupables vivans qui ne pouvaient rester impunis. Son zèle pour les intérêts du roi l’obligeait d’ailleurs à tirer une éclatante vengeance de la trahison des habitans d’Anagni. Voilà ce que Nogaret répétait hautement. Dès qu’il apprit l’élection du nouveau pape, il eut l’impudence de s’approcher de Rome en avouant le dessein de venir continuer ses poursuites contre la mémoire de l’hérétique défunt et contre ses fauteurs.

Benoît XI n’avait aucune force armée ; n’étant en rien militaire, il sentait sa faiblesse en ce siècle de fer. Il n’osait venir à Rome, ville redoutable, qui avait rendu la vie si dure à plusieurs de ses prédécesseurs ; il restait à Pérouse, et ne songeait qu’à éteindre l’incendie allumé par Boniface. L’effronterie de Nogaret, toujours armé des pouvoirs du roi, le remplissait d’inquiétude. Benoît le fit prier instamment par l’évêque de Toulouse de ne pas passer outre sans nouveau commandement du roi. Il ajoutait qu’il était décidé à faire cesser le scandale, à donner satisfaction au roi et à rétablir l’union entre l’église romaine et le royaume. Il demandait à Nogaret de retourner le plus tôt possible en France, afin d’engager le roi à envoyer une ambassade pour traiter de la paix[1]. Ainsi l’auteur du crime le plus effroyable qu’on eût jamais commis envers la papauté devenait le négociateur choisi par la papauté elle-même. Voilà certes qui dut troubler plus profondément dans leur tombe les Grégoire et les Innocent que le tumulte d’Anagni et le prétendu soufflet de Sciarra.

Tout ceci se passait en décembre 1303 et janvier 1304. Nogaret, chargé d’une mission papale, repartit en hâte pour la France, et joignit le roi à Béziers vers le 10 février de l’an 1304.


ERNEST RENAN.

  1. « Statim seu infra modicum tempus, Benedicto ad summum pontificatum assumpto, ad instantiam ipsius dicti Benedicti, in partibus Romanis existens, veni celeriter ad dominum regem pro conservatione pacis et unitatis Ecclesiæ Romanæ ac domini régis et regni, ad procurandum etiam ut dominus rex legatos seu nuntios suos mitteret ad dictum dominum Benedictum pro conservatione pacis et unitatis prœdictæ, quod me procurante fecit dominus rex prædictus. » — Autant le récit de Nogaret est suspect quand il s’agit de faits sur lesquels personne ne peut le démentir, autant il mérite créance pour des allégations comme celle-ci, relative à des faits bieu connus du roi et des personnages en vue desquels il écrit ses apologies.