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rejoindre ; Napoléon des Ursins, en particulier, ne le quittait pas. Il vint de la sorte à Saint-Pierre, où il prétendait, dit-on, assembler un concile pour se venger du roi de France. En réalité, il n’avait fait que changer de prison. Les Orsini le tenaient en charte privée ; ils essayaient en vain de le réconcilier avec les Colonnes ; Napoléon des Ursins interceptait les lettres qu’il écrivait à Charles II, roi de Naples. L’amas d’intrigues que le vieux pontife avait entassé autour de lui l’étouffait. La rage était d’ailleurs trop forte dans cette âme passionnée ; elle le tua. Ses domestiques le trouvaient toujours sombre ; il avait des momens d’aliénation mentale, où il ne parlait que de malédictions et d’anathèmes contre Philippe et ses ministres. On le voyait seul dans sa chambre se ronger les mains, se frapper la tète. Comme son âme était cependant grande et forte, il retrouva, ce semble, le calme à ses derniers momens. Il mourut le 11 octobre, à l’âge de quatre-vingt-six ans, et avec lui finit la grande tentative, qui avait à moitié réussi au XIIe’ et au XIIIe siècle, de faire de la papauté le centre politique de l’Europe. La papauté va maintenant expier par un abaissement de plus d’un siècle l’exorbitante ambition qu’elle avait conçue et en partie réalisée, grâce à une incomparable tradition de volonté et de génie.

Nogaret passa l’intervalle depuis le 9 septembre, jour de son expulsion d’Anagni, jusqu’au 11 octobre, jour de la mort de Boniface, à Ferentino, auprès de Rainaldo. Le projet avait échoué, et certainement la situation des conjurés eût été fort critique, si la vie de Boniface se fût prolongée. Ce n’est pas impunément que Nogaret fût resté chargé de la responsabilité d’avoir, sans ordre bien précis, compromis la couronne de France dans un complot de malfaiteurs. La mort du pape vint changer sa défaite en victoire. Ce qu’il y a d’extraordinaire en effet dans l’épisode d’Anagni, ce n’est nullement que le pape ait été surpris par Rainaldo et Nogaret, c’est que cette surprise ait amené des résultats durables ; c’est que la papauté, loin de prendre sa revanche, ait été abattue sous ce coup, c’est qu’au prix de satisfactions illusoires obtenues sur des subalternes, elle ait fait amende honorable au roi sacrilège, et reconnu qu’en emprisonnant le pape et en amenant sa mort, ledit roi avait eu d’excellentes intentions et agi pour le plus grand bien de l’église. Cela ne s’est vu qu’une seule fois, et c’est par là que la victoire de Philippe le Bel sur la papauté a été dans l’histoire un fait absolument isolé.

Pendant le court intervalle qui s’écoula entre la mort de Boniface (11 octobre) et l’élection de son successeur (22 octobre), Nogaret reste à Ferentino. Son attitude n’était nullement celle d’un vaincu. Le 17 octobre, nous le trouvons logé chez Rainaldo, traité