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pas sait sous les yeux du pape et malgré les efforts de Nogaret. Celui-ci jouait très habilement son rôle d’homme de loi impassible. Il voyait avec inquiétude le tour que prenait l’affaire. Le pillage du palais et du trésor pontifical avait été le principal mobile des condottiers italiens ; ce pillage accompli, il était bien à craindre que pour eux l’expédition ne fût terminée. Nogaret inclinait dans le sens d’une modération relative. Grâce à lui, François Gaetani, neveu du pape et l’un des plus compromis dans les actes du gouvernement de Boniface, put sortir d’Anagni et gagner une place voisine, où Nogaret défendit de le forcer. Ceux des cardinaux qui voulurent demeurer neutres dans le conflit furent libres de se retirer à Pérouse.

Jamais, sans contredit, la majesté papale ne souffrit une plus cruelle atteinte. Quoi qu’on en ait écrit cependant, il n’y eut pas de la part de Nogaret d’injures proprement dites ; de la part de Sciarra, il n’y eut pas de voies de fait. Villani parle d’outrages adressés au pape par Nogaret (lo scherni). La situation était outrageuse au premier chef ; mais il n’est nullement conforme à la froide attitude judiciaire que Nogaret, Plaisian, Du Bois, gardèrent envers la papauté, de supposer que l’envoyé du roi se soit laissé aller à des paroles qui eussent affaibli sa position d’huissier portant un exploit ou de commissaire remplissant un mandat d’arrestation. Une tradition fort acceptée veut que Sciarra ait frappé Boniface de son gantelet. Un tel acte n’est pas en dehors du caractère d’un bandit comme Sciarra ; toutefois cette circonstance manque dans les récits les plus autorisés, en particulier dans celui de Villani, qui, par ses relations avec les Petrucci, put être si bien informé. Dans ses apologies, Nogaret se fait à diverses reprises un mérite d’avoir, non sans peine, sauvé la vie à Boniface et de l’avoir gardé des mauvais traitemens. Nous ne nions pas que la brutalité de Sciarra n’ait été capable des derniers excès et ne les ait tentés ; nous disons seulement que rien n’indique qu’aucun sévice ait eu lieu en réalité. Le moine de Saint-Denis paraît assez près de la vérité, et en tout cas il s’écarte peu de la relation de Nogaret, quand il veut que ce dernier ait défendu le pape contre les violences de Sciarra. Cette version fut généralement accréditée et devint presque officielle en France. Il faut sûrement ranger parmi les fables les ouvrages qu’on aurait fait subir au pape dans les rues d’Anagni. Dante paraît avoir été plus poète qu’historien quand, parlant des dérisions, du vinaigre et du fiel dont fut abreuvé le pontife, il compare Nogaret à Pilate :

…………………….
Veggio in Alagna entrar lo flordaliso,
E nel vicario suo Cristo esser catto.