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homme dangereux en le dépouillant du château de Trevi, qu’il tenait en fief. Un tel personnage était bien ce qu’il fallait à Nogaret. Vassaux du saint-siège, Rainaldo et ses amis pouvaient être présentés comme obligés d’obéir à une réquisition faite pour l’intérêt du saint-siège[1]. Ils avaient caractère pour agir en l’affaire, ce que n’avait pas Sciarra. Rainaldo et les siens furent bientôt gagnés ; cependant ils ne voulurent pas s’engager sans avoir obtenu la promesse d’être mis à l’abri par le roi des suites spirituelles et temporelles de l’entreprise. Nogaret les rassura, ainsi que la commune de Ferentino, en leur livrant une copie authentique des pleins pouvoirs que Philippe lui avait donnés ; il leva les derniers scrupules en stipulant que tous ceux qui obéiraient à la réquisition du roi en cette pieuse entreprise seraient largement payés de leur peine. Rainaldo tremblait bien encore par momens. En vain Nogaret disait-il agir en bon catholique et ne travailler que pour le bonheur de l’église ; les Italiens se montraient justement inquiets de ce qui arriverait après le départ des envoyés de Philippe. Ils exigèrent que Nogaret promît de marcher le premier avec l’étendard du roi de France. Nogaret n’accepta cette condition qu’avec regret ; il aurait voulu ne paraître en tout ceci que le chef élu des barons de la campagne de Rome[2]. Il crut tout arranger en déployant à la fois la bannière fleurdelisée et le gonfanon de saint Pierre. A partir de ce moment, Rainaldo devint l’homme du roi de France[3], lié à lui « pour la vie et la mort du pape. » Toute sa famille, son frère Thomas de Meroli, et beaucoup de gens de Ferentino s’engagèrent avec lui. La ville de Ferentino fournit un corps de troupes auxiliaires qui grossit le parti, et surtout lui donna un air de légalité qui lui avait si complètement fait défaut jusque-là.

Sciarra commençait cependant à rôder avec sa bande autour d’Anagni. Nogaret prétend dans ses apologies qu’il fit à cette époque ce qu’il put pour ramener Boniface à de meilleurs sentimens, et qu’il essaya de le voir ; mais c’est là sûrement un artifice auquel le rusé procureur eut tardivement recours pour colorer sa conduite du zèle de la foi et de la discipline ecclésiastique. Pendant tout l’été de 1303, Boniface ignora ce qui se tramait contre lui. S’il quitta Rome (avant le 15 août) pour aller demeurer à Anagni, dont il était originaire et où étaient les fiefs de sa famille, ce fut moins par suite d’une appréhension déterminée que par ce motif général que le séjour de la turbulente ville de Rome était devenu presque impossible pour lui.

  1. « Requisivisse ex parte régis ut devotos et filios Ecclesisæ romanæ, cujus agebatur negotium in hac parte. »
  2. « Accersitis baronibus aliisque nobilibus Campaniæ, qui me ad hoc pro defensione Ecclesiæ capitaneum elegerunt et ducem. »
  3. « Miles illustrissimi principis domini régis Franciœ. »