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où les intrigues de ce même pape, qu’il s’agissait maintenant de briser, avaient engagé le frère du roi de France et l’avaient si tristement compromis.

Les lettres patentes qui conféraient à Nogaret, Mouschet, Hiricon, Gesserin la mission inouie d’aller arrêter le pape au milieu de ses états pour le faire comparaître devant le tribunal qui devait le juger sont datées du 7 mars 1303. Les pouvoirs qu’on leur attribue sont à dessein exprimés en termes vagues. Le roi déclare qu’il les envoie ad certas partes, pro quibusdam nostris negotiis ; il leur donne « à tous et à chacun le droit de traiter en son nom avec toute personne noble, ecclésiastique ou mondaine, pour toute ligue ou pacte de secours mutuel en hommes ou en argent qu’ils jugeront à propos. » Il n’est pas douteux que le roi ne fût dès lors dans le secret et ne sût parfaitement ce qu’ils allaient faire et les moyens qu’ils se proposaient d’employer.

Le plan de campagne ainsi conçu et les commissaires étant nommés, on procéda aux formes légales. Une assemblée se tint au Louvre le 12 mars 1303. Cinq prélats y assistaient ; Philippe était présent ainsi que Charles de Valois et Louis d’Evreux, frères du roi, Robert, duc de Bourgogne, et d’autres princes. Quand l’assemblée fut constituée, Nogaret, qualifié miles, legum professor venerabilis, s’avança et lut une requête dont il déposa copie entre les mains du roi. La pièce débutait comme un sermon par un texte de l’Écriture ; Nogaret emprunta exprès son texte à une des épîtres attribuées à saint Pierre : Fuerunt pseudoprophetœ in populo, sicut et in vobis erunt magistri mendaces. Boniface est un vrai Balaam ; un âne va le remettre dans le droit chemin. — Puis venait un acte d’accusation en quatre articles : 1° Boniface n’est point pape, il occupe injustement le saint-siège, il y est entré par de mauvaises voies, en trompant Célestin, et il ne sert de rien de dire que l’élection qui a suivi l’a légitimé ; son introduction, ayant été vicieuse, n’a pu être rectifiée ; 2° il est hérétique manifeste ; 3° il est simoniaque horrible, jusqu’à ce point d’avoir dit publiquement qu’il ne pouvait commettre de simonie ; 4° enfin il est chargé d’une infinité de crimes énormes, où il se montre tellement endurci qu’il est incorrigible et ne peut plus être toléré sans le renversement de l’église. C’est pourquoi Nogaret supplie le roi et les prélats, docteurs et autres assistans, qu’ils excitent les princes et les prélats, principalement les cardinaux, à convoquer un concile général, où, après la condamnation de ce malheureux, les cardinaux pourvoiront l’église d’un pasteur. Nogaret offre de poursuivre son accusation devant le concile. Cependant, comme celui qu’il s’agit de poursuivre n’a pas de supérieur pour le déclarer suspens, et comme il ne manquera pas de faire son possible pour traverser les bons desseins des amis de