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chargé de la garde du grand sceau qu’à partir du 22 septembre 1307 ; nous montrerons même que Nogaret ne fut jamais proprement chancelier, et qu’il ne fut appelé ainsi que par une sorte d’abus. « Il paraît cependant, ajoute dom Vaissète, qu’il exerça quelque charge dans la chancellerie et peut-être celle de secrétaire du roi, car il est écrit sur le repli d’une charte du roi du mois de juin 1302 : Per dominum G. de Nogareto. »

Sans document précis et par simple supposition, on a mis Nogaret parmi les légistes qui, au commencement de 1302, entourent le roi et lui donnent les moyens de répondre aux agressions papales. Une telle supposition est assurément très vraisemblable. Cependant ce n’est qu’au commencement de 1303 que Nogaret joue dans la grande lutte un rôle principal. À ce moment, l’animosité du pape et du roi arrivait à son comble. Les ennemis acharnés de Boniface, les Colonnes, étaient en France, et mettaient au service du roi leur profonde connaissance des intrigues italiennes. Boniface, par son caractère hautain et sa manie de se mêler de toutes les affaires, avait fait déborder la haine. Les Florentins, les gibelins, les Colonnes, les Orsini eux-mêmes, le roi de France, le roi des Romains, les moines, les mendians, les ermites, tous étaient exaspérés contre lui. Les saints, tels que Jacopone de Todi, le souvenir sans cesse tourné vers leur homme de prédilection, Pierre Célestin, que le nouveau pape avait si étrangement fait disparaître, envisageaient Boniface comme l’ennemi capital du Christ. Déjà les Colonnes avaient levé l’étendard de la révolte et montré la voie de l’attaque. Boniface était un homme mondain, peu dévot, de foi médiocre ; il ne se gênait pas assez pour les exigences de sa position. Ses allures, tout vieux qu’il était, pouvaient sembler celles d’un cavalier plutôt que celles d’un prêtre ; il détestait les frati, les ermites, les sectes de mendians, qui pullulaient de toutes parts, et ne cachait pas le mépris qu’il avait pour ces saintes personnes. La démission de Célestin V, qu’on disait avoir été forcée, le rôle équivoque que Boniface avait joué dans ce singulier épisode, les circonstances bizarres de la mort de Célestin, faisaient beaucoup parler. Un parti se trouva bientôt pour soutenir que Boniface n’était pas vrai pape, que son élection avait été invalidée par la simonie, que Célestin n’avait pas eu le droit de se démettre de la papauté, que Boniface était incrédule, hérétique. Les libelles des Colonnes exposaient toutes ces thèses dès l’année 1297 ; Étienne Colonna, réfugié en France, répétait les mêmes assertions jusqu’à satiété. Les folles violences de Boniface, la croisade prêchée contre les Colonnes, la bulle outrée Lapis abscissus, achevèrent de tout perdre. La rage des Colonnes et les profonds mécontentemens de Philippe firent ensemble alliance. Par le conseil des Italiens, qui, dès cette