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La critique d’outre-Rhin a traité avec rigueur les chantres de Sedan et du nouvel empire; elle a loué leurs intentions beaucoup plus que leurs vers. On a pu lire, dans un recueil qui a de l’autorité (Im neuen Reich), qu’il était permis de s’étonner que de si grands événemens eussent si mal inspiré les poètes. Il est probable que ni psaumes ni sonnets ne passeront à la postérité, que rien ne survivra, sinon les simples rimes du fusilier Kutschke, poésie de corps de garde, vive d’allure, pleine de gaillardise, et qui ne manque pas de bouquet.

Was kraucht da in dem Busch herum?
Ich glaub’, es ist Napolium.
Was hat er rum zu krauchen dort?
Drauf, Kameraden, jagt ihn fort!

« Qui rôde là-bas dans le buisson? Je crois que c’est Napoléon. Qu’a-t-il donc à rôder par là? Sus, camarades, foncez sur lui! »


Le talent serait-il devenu si rare en Allemagne? « L’âge d’or de la poésie n’est plus, a dit l’auteur des Heroldsrufe; mais l’enthousiasme fait retentir dans ce siècle de fer plus d’une chanson ailée. » M. Geibel est trop modeste, son talent ne fait pas question; ce qui lui manque, c’est précisément l’enthousiasme, celui qui ne s’échauffe jamais à froid, celui qui jamais ne se bat les flancs, Kœrner et Arndt étaient loin de savoir le métier comme lui; mais dans ces poètes de 1813 tout est sincère et vibrant, la colère comme la foi, la piété comme la passion ; ils avaient le cœur sur les lèvres, et dans leur bouche liberté, Dieu, patrie, tous les mots ont un sens. Chantez ce qu’il vous plaira, les roses ou les batailles, la Providence ou le hasard, votre pays ou l’univers, si vous avez la franchise de l’inspiration, vos vers seront assurés de vivre.

Les talens n’ont pas manqué au sujet, mais le sujet a manqué au talent. Les Allemands sont ainsi faits que le plaisir, le bonheur, la gloire, le succès, ne leur suffisent point; ce n’est pas assez qu’on les envie ou qu’on les admire, ils exigent qu’on les approuve et qu’on les estime. Les Welches ont découvert depuis longtemps qu’il se passe dans ce monde beaucoup de choses où la vertu n’a rien à voir, et quand ils vont en bonne fortune ou en quelque endroit où leur conscience pourrait les gêner, ils ont soin de la laisser à la porte, quitte à la reprendre en sortant. L’Allemand ne se résigne pas ainsi à se séparer de sa conscience ; il entend qu’elle soit de toutes ses affaires, de tous ses plaisirs, et il l’emmène partout avec lui. Ces consciences qui ont été menées ou traînées partout, qui ont tout vu et trempé dans tout, deviennent prodigieusement