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les fleuves seraient encombrés de débris et de cadavres, que les maisons brûleraient, qu’on entendrait des hurlemens dans les rues, qu’un festin serait préparé aux loups et aux vautours ; « nous ne pardonnerons pas avant qu’agenouillés et vous reconnaissant pécheurs, vous ayez abjuré l’esprit de mensonge et demandé grâce au Seigneur qui vous juge. » Ailleurs il représentait le génie du mal se conjurant avec les puissances de l’enfer pour fonder son empire dans le sang et la terreur ; mais le héros de la Marche est venu, fort et pieux, et sur sa tête volaient les chérubins dans les nuées. « Le dieu de la lumière a terrassé le dragon, et la ville des insolentes railleries tremble sous l’épée flamboyante de l’Allemagne. » Ces cantiques sont d’une savante facture ; on croit entendre le grondement de la foudre, les hennissemens des chevaux, le vol des archanges, autant du moins que tout cela peut être reproduit à force d’arpèges et d’accords plaqués ; — mais nous préférons résolument à cette religion krupp, qui se charge par la culasse, les charmantes romances qu’écrivait autrefois M. Geibel, ses chansons de printemps, sa ballade du page et de la fille du roi.

Dieu soit loué, la dernière pièce des Heroldsrufe est consacrée à chanter la paix. Le refrain en est ainsi conçu : « louange au Seigneur, au puissant Sauveur, qui, par ses conseils merveilleux, nous a redressés dans la tempête, et aujourd’hui s’approche de nous comme un doux murmure ! » Cependant ce chant de paix est encore belliqueux ; le poète y convie l’Allemagne à un dernier combat, à une suprême victoire. « Que celui qui pendant la guerre marchait devant nous dans une nuée de feu donne à notre peuple la force de vaincre une fois encore, la force d’extirper des cœurs la sombre semence du mensonge, et tout ce qui reste de welche dans les pensées, dans les mots et dans les actions, das Welschthum auszumerzen in Glauben, Wort und That ! » Voilà le vœu final de M. Geiel. Il ne sera content et rassuré que lorsqu’aura disparu à jamais la dernière trace du dernier de ces Welches à qui Goethe déclarait devoir la meilleure partie de ce qu’il savait, et qui, faute de mieux, ont donné au monde Michel-Ange et Poussin, Dante et Molière, Galilée et Descartes, Torricelli et Laplace, Volta et Lavoisier, Machiavel et Montesquieu, Beccaria et Mirabeau. Alors fleurira sur toute la terre la vertu allemande, que célébreront d’agréables virtuoses, et l’hypocrisie respirera plus à l’aise ; car, les Welches étant morts, il ne s’écrira plus de Pantagruel, ni de Provinciales, ni de Tartufe. En vérité, le monde sera heureux ; la vertu allemande n’est pas aussi triste et incommode qu’on pourrait le croire. « Il y a chez nous de la vertu et des mœurs, a dit un poète allemand ; cependant nous nous donnons en cachette de bien doux plaisirs. »