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de Lubeck[1]. Son cœur ne peut plus cacher le chagrin que lui cause le chêne fracassé; mais de jour en jour un mot grandit, irrésistible, le grand mot de l’empire allemand. En vain le vieux dragon de la jalousie à quatre têtes monte la garde devant l’arbre de vie et nous en refuse le fruit. Qu’il gronde, qu’il vomisse des flammes! Tiens ferme, ô mon peuple! Dieu veille sur tes espérances... Ce qui a mûri dans les âmes se crée une chair et des os. La nécessité parlera tout haut dans le tonnerre des batailles... Voici la fin de ma chanson, voici le vert printemps qui s’annonce : c’est l’empire, plein de puissance et de gloire. »

Pour avoir l’empire, il fallait une guerre et un homme; vingt ans auparavant, dès 1844, ce même prophète appelait de ses vœux les plus ardens cet homme et cette guerre :


« Prie le ciel qui peut prier, et que celui dont le regard ne cherche pas au ciel un refuge dise son secret à la tempête, pour qu’elle le promène de lieu en lieu comme une formule magique. Que le nourrisson qui commence à peine à bégayer apprenne de sa mère ces paroles; que le vieillard les prononce encore aux portes du tombeau : — destinées, accordez-nous un homme, un seul homme!.. Un homme nous fait besoin, un petit-fils des Nibelungen, pour que de son poing et de sa cuisse d’airain il maîtrise le temps, ce coursier emporté !

« J’en atteste le ciel, je ne compte pas au nombre des audacieux qui demandent pour un rien de sévères destins; mais, plutôt que de pourrir par un cancer intérieur, je voudrais rencontrer l’ennemi sur un champ de bataille. Oui, je bénirai trois fois l’heure où flamboieront les épées sorties du fourreau, où, sur le bord de la Moselle et de l’Oder, au lieu de venimeuses paroles de dispute, les balles pleuvront. Oh! si je voyais demain la clarté du soleil se mirer dans le casque des escadrons! si demain nous faisait entrer dans le pays de l’ennemi!.. Guerre, guerre ! donnez-nous une guerre pour remplacer ces querelles qui nous dessèchent la moelle dans les os. L’Allemagne est malade à en mourir; ouvrez-lui donc une veine ! »


Un autre poète a rendu aussi des oracles, et ses prophéties furent récitées au théâtre d’Elberfeld le 1er janvier 1861. Que la France était loin de deviner ce qui se passait alors dans le cœur des poètes du saint-empire !


« L’art a des yeux de prophète, l’art est un révélateur... Un cliquetis de chaînes se fait entendre au loin sur le Belt, et en Alsace le Français règne encore aujourd’hui;... mais écoutez : à l’est et à l’ouest, au sud

  1. Geibel, Heroldsrufe. Das Lied vom Reiche.