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mais on était conduit par des vieillards qui ne consultaient que leurs défiances. Oublieux de tout ce qu’ils avaient promis à Kalisch et ailleurs, les gouvernemens ne songeaient qu’à se liguer contre les peuples, et faisaient peser sur eux le joug d’une police ombrageuse et tracassière. L’Allemagne se sentait jeune; ses hommes d’état, ne pouvant lui communiquer leurs années, avaient pris le parti de la traiter en enfant, de la réintégrer dans son berceau, et ses rois et ses roitelets lui récitaient des contes de nourrice pour l’endormir; quand l’enfant criait, on le fouaillait.

Ce fut alors qu’une jeune muse, pleine de grâces et d’enchantemens, confidente de cette grande espérance déçue, éleva la voix et se mit à parler aux princes, leur disant : « Avez-vous oublié le jour des batailles et que les peuples ont lavé de leur sang votre honte? Ne ferez-vous point ce que vous avez promis? » Et, craignant que les peuples, à force d’être bercés, ne finissent par s’assoupir, elle leur criait : « Où est le prix de vos souffrances et de vos travaux? Vous avez détruit les hordes étrangères, et cependant vous êtes encore en servitude. » Prenant dans sa main son bâton de pèlerin, cette muse faisait le tour « du pays où fleurit la pomme de terre. » Elle pénétrait chez les rois, elle y voyait des arbres qui, au lieu de se nourrir des sucs grossiers, mais vivifians, de la terre, tournaient en l’air leurs racines. Elle entrait chez les poètes, et leur reprochait de n’avoir pas le temps de s’occuper des chagrins des petits, tout appliqués qu’ils étaient à contempler leur grand cœur déchiré. Elle entrait dans les églises, où des robes noires disaient en citant l’Évangile : Apprenez à vous soumettre et à vous taire ! « comme si la Bible tout entière eût été un livre des rois. » Elle se mêlait à la foule et admirait comment ses maîtres l’instruisaient à tromper ses inquiétudes et la longueur des jours par des plaisirs épais, par de gras divertissemens. Elle contemplait à Nuremberg le vieil écusson de l’empire; elle le trouvait bien changé. La devise portait : comme il plaît à Dieu ! Les armoiries étaient un escargot, le tenant une écrevisse.

Ainsi parlait Uhland. Et cependant les années qu’a duré la confédération germanique ont été pour l’Allemagne des années d’école, un temps de laborieux, mais d’utile apprentissage. Elle a réclamé ses droits, plaidé contre ses gouvernemens; dans ce lent procès, elle a déployé une ténacité opiniâtre et courageuse, perdant le plus souvent le principal, gagnant presque toujours l’incident. C’est ainsi que les peuples deviennent libres, ce que les princes leur octroient ne leur profite guère; à cheval donné, comme dit le proverbe, on ne regarde pas la bride, et la bride est souvent telle qu’on ne peut se servir du cheval. De 1815 à 1860, l’Allemagne a peiné, et ce