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tement est général, écrivait-il en octobre 1870 à propos d’un projet de réduction de l’armée, aussi bien parmi les Européens que parmi les indigènes, à cause de l’élévation incessante des taxes, que l’on voit augmenter chaque année. Mon opinion est que la prolongation de cet état des esprits constitue un danger politique sur la gravité duquel on ne saurait trop insister; les mauvaises dispositions de quelques soldats débandés de l’armée indigène ne sont rien auprès de ce malaise universel... Nous ne pouvons compter un seul instant sur le maintien de la tranquillité du pays; mais je suis d’avis que le sentiment public à l’égard des impôts pourrait bien plus facilement amener des troubles et devenir pour nous une source de dangers que la réduction partielle de l’armée indigène, que nous avons proposée. Des deux maux, je choisirais le moindre. » Pour bien apprécier les réductions recommandées par le dernier vice-roi, il faut savoir qu’aujourd’hui, c’est-à-dire quinze ans après la répression de la révolte des cipayes, la force armée que l’Angleterre entretient dans ses possessions asiatiques approche de 200,000 hommes, dont le tiers environ est formé par des troupes européennes. Cette armée occasionne une dépense annuelle de plus de 16 millions sterling (400 millions de francs); elle absorbe un tiers du budget total de l’Inde. Lord Mayo croyait que le nombre des troupes indigènes pouvait sans inconvénient être réduit à 8,000, ce qui aurait permis de réaliser une économie considérable et d’alléger les charges qui pèsent sur le peuple; cependant les autorités militaires ne partageaient pas sa manière de voir. « Toute notre expérience de l’Inde, disait récemment le général en chef, nous conseille de ne pas nous fier à cette apparente tranquillité; des troubles naissent au moment où l’on s’y attend le moins, et lorsqu’ils ont éclaté sur un point, si on ne les réprime pas sur-le-champ, on est sûr d’en voir naître de tous les côtés. Il y a là des forces importantes commandées par des chefs indigènes qui, individuellement, ne nous sont point hostiles, mais dont les troupes pourraient à un moment donné se tourner contre nous. »

Lorsqu’on se représente la situation intérieure de l’Inde telle qu’elle est dépeinte par des hommes qui ont longtemps vécu dans le pays, on n’a pas de peine à comprendre qu’en effet une brusque diminution de l’armée permanente serait prématurée et pleine de péril. Toutefois il vaut la peine d’examiner ce que peuvent avoir de fondé les plaintes touchant l’élévation croissante des impôts, et de voir s’il n’existe pas d’autres remèdes que la réduction de l’armée. En 1856, le budget de l’Inde est de 835 millions de francs; en 1870, il s’élève à 1,270 millions, ce qui représente une augmentation de 50 pour 100 dans l’espace de quinze ans. Pour un pays de 150 millions d’habitans, ces chiffres n’ont rien d’exorbitant au premier abord, surtout si on les met en regard du budget de l’Angleterre, qui est d’environ 1,800 millions pour 30 millions d’habitans; mais, pour en comprendre la véritable signification, il faut