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porter leur dissentiment devant les arbitres avant que les ouvriers pussent déclarer la grève ou les patrons fermer leurs ateliers, faute de quoi elles seraient passibles d’une amende et de la privation des droits politiques. On fit à ce projet des objections graves; nous avons exposé ici même en quoi ces objections nous paraissaient justes, et les idées émises par le rapporteur peu praticables. Pour rendre le système efficace, il aurait fallu donner à la sentence d’arbitrage le caractère obligatoire; mais rendre obligatoire la sentence des arbitres, c’était s’exposer à établir une sorte de tribunal des salaires, et on violait la liberté des conventions que la nouvelle loi voulait précisément consacrer. On recula devant cette extrémité, et nous croyons qu’il en sera de même partout où le droit de se coaliser sera maintenu. Autant l’institution de comités de conciliation, dus à l’initiative des chambres syndicales et des groupes professionnels, nous paraît appelée à produire d’heureux résultats, autant l’intervention de la loi serait, nous le craignons, dangereuse ou tout au moins inefficace : pour que l’arbitrage puisse porter ses fruits, il faut qu’il résulte de la volonté spontanée des deux parties.

Il est d’autres combinaisons dans lesquelles on a cherché un préservatif contre le retour trop fréquent des grèves. Ainsi on voudrait que les patrons et les ouvriers fussent tenus de se lier par un engagement à long terme, valable par exemple pendant un an, et qu’il leur fût interdit par la loi de se séparer avant l’expiration du contrat, sinon par une résiliation à l’amiable. Si l’on trouvait abusif de contraindre dans certains cas les ouvriers et les patrons à signer cet engagement, il faudrait du moins que le législateur reconnût ces sortes de contrats lorsqu’ils existent et leur donnât une sanction toute spéciale en fournissant à la partie lésée, en cas de rupture, un recours pénal contre la partie adverse. Le patron, pensait-on, pourrait ainsi s’assurer contre le brusque départ de son personnel, et l’ouvrier contre les risques du chômage. En cas de dissentiment, l’obligation pour les parties d’attendre, avant de se quitter, la un de l’engagement, leur donnerait le temps de la réflexion : les passions de la première heure se calmeraient; la raison reprendrait son empire, et on éviterait de funestes conflits.

Une combinaison de ce genre offre des avantages quand les conditions particulières de l’industrie, quand la coutume ou des conventions spéciales permettent de l’établir. Dans beaucoup de professions, des contrats analogues existent, et dans d’autres les habitudes locales y suppléent. Peut-être serait-il avantageux pour les patrons comme pour les ouvriers de se lier plus souvent qu’ils ne le font, quand la chose est possible, sinon par des traités formels, du moins par des engagemens moraux qui procureraient aux uns et aux autres une certaine sécurité. Parmi les souffrances de