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qui s’appuie sur des bases mal fixées. La moindre incertitude dans le principe rend la loi impuissante; on n’a ni les avantages de la liberté, ni les garanties de la répression, et, par une intempestive sévérité, on désarme la justice.


II.

Les auteurs de la loi de 1864 ont cherché à remédier à cette fausse situation. D’après leurs propres déclarations, le but qu’ils ont poursuivi est double : d’une part assurer la légitimité de la coalition pure et simple, de l’autre frapper sévèrement les délits ou excès qui accompagneraient l’usage du droit nouveau. C’est là d’ailleurs l’objet qu’on s’est proposé partout où les anciennes lois restrictives ont été supprimées. Partout aussi on est venu se heurter dans l’application à de nombreux écueils. S’il est aisé en effet d’établir en théorie la distinction entre la coalition légitime et celle qui ne l’est pas, de prononcer des peines contre les délits commis sous prétexte de coalition, en réalité la répression n’est pas facile, et on peut craindre que la distinction faite par le législateur ne soit insuffisante dans la pratique.

On a cent fois énuméré les obstacles que rencontre la justice dans les poursuites de ce genre. L’esprit de corps qui lie les ouvriers entre eux, la crainte des représailles, font que ceux qu’on opprime aiment mieux souffrir en silence que de porter plainte. Les meneurs exploitent habilement la crédulité ou la timidité du plus grand nombre; ils entraînent leurs compagnons, et savent eux-mêmes se dérober à l’action de la justice quand le moment critique est venu. Ces difficultés sont réelles, et on ne songe pas à les nier; mais sont-elles insurmontables? Suffisent-elles à justifier cette assertion tant de fois répétée, que, si le droit de coalition est accordé, l’impunité est du même coup assurée à la violation de la liberté individuelle, à l’oppression des minorités par les majorités? qu’en prétendant affranchir le travail, on le soumet « à un despotisme plus pesant que celui du tsar Pierre ou du sultan Mahmoud, » comme le disait O’Connell en parlant des premières unions anglaises, et que par conséquent le mieux est d’interdire la coalition elle-même? Nous n’admettons pas cette conclusion. Dans bien des cas, la liberté engendre des excès difficiles à punir; ce n’est pas une raison pour la supprimer. La liberté de la presse, celle des réunions, donnent lieu à de nombreuses objections; on a souvent vu combien il était malaisé de réprimer les abus qu’elles produisent, et, trop souvent aussi sous ce prétexte, on a cru pouvoir les faire disparaître; mais les esprits libéraux ont toujours protesté contre cette façon d’agir.

Les excès du droit de coalition sont faciles à constater, et les