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cision, et c’est toute une victoire remportée de nouveau sur les ténèbres par le flambeau de la critique[1].

Nous ne voulons pas fatiguer nos lecteurs en reproduisant l’argumentation soigneusement déduite par le savant critique hollandais; qu’il nous suffise d’appeler leur attention sur quelques faits indiscutables. Par exemple Ézéchiel, qui écrit dans les premiers temps de l’exil et s’occupe beaucoup de législation religieuse, ne nous permet pas d’admettre qu’il existât de son temps un règlement écrit du culte sacerdotal, ni même une législation sacerdotale complète. Les prophètes, en particulier celui qui porte le nom d’Ésaïe II, dont les discours sont de la fin des années de servitude, ne trahissent pas la moindre connaissance des nombreuses lois qui, depuis Esdras et Néhémie, sont reconnues essentielles à la religion juive; enfin Zorobabel et les siens, qui reviennent les premiers en terre-sainte, animés du zèle religieux le plus ardent, et certainement désireux de ne rien négliger pour que la restauration s’accomplisse de la manière la plus scrupuleuse, ne songent pas un instant à se constituer sur le pied prescrit par les lois promulguées d’un commun accord par Esdras et Néhémie, Ce qui caractérise ces lois, c’est la prépondérance qu’elles attribuent au corps sacerdotal. Les privilèges des prêtres, leur autorité, les obligations imposées à tout Israélite pour l’entretien du temple et de ses desservans, le système d’impôts en argent et en nature tout à l’avantage du corps lévitique, la rigueur avec laquelle on règle la police des sabbats, le prélèvement des dîmes, le rachat des premiers-nés, une foule de détails dont l’histoire antérieure d’Israël suppose constamment, nous ne disons pas l’oubli, nous disons l’ignorance, tout achève de jeter sur cette découverte récente de la critique le jour de l’évi-

  1. Il n’y a ni indiscrétion ni orgueil à réclamer pour des savans de nationalité française l’honneur d’avoir les premiers démêlé cette genèse compliquée de la loi juive, dont l’adoption va changer sur bien des points les idées antérieures sur la formation de l’Ancien-Testament. Nous défions en effet toute guerre, tout acte diplomatique de nous empêcher de regarder comme des compatriotes MM. Reuss, professeur à Strasbourg, et l’un de ses disciples les plus distingués, M. Graf, de Mulhouse, mort il y a deux ans, au moment où sa réputation de philologue et d’exégète consommé commençait à percer en Allemagne et en France. M. Graf a développé des conclusions analogues à celles que nous retraçons ici, d’après M. Kuenen, dans plusieurs monographies et en particulier dans un des meilleurs ouvrages qui aient été écrits sur les livres historiques de l’Ancien-Testament. M. Reuss lui-même, il y a déjà nombre d’années, était parvenu à un résultat très semblable, mais ne l’avait encore exposé que devant ses étudians. Tout ceci soit dit sans rien retrancher des mérites du professeur hollandais qui ignorait les cours de son collègue d’Alsace et n’a connu le travail de M. Graf qu’après avoir rédigé son livre. Ce qui résulte de cette convergence d’esprits éminens étudiant le même objet avec une érudition et une indépendance hors de pair, c’est évidemment une présomption favorable à la solidité de leur découverte commune et pour ainsi dire opérée parallèlement.