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habile ou assez heureux pour trouver grâce devant le roi Artaxercès, qui lui promit des subsides, accorda d’importans privilèges aux habitans de Jérusalem, et lui remit des pleins pouvoirs pour régler « selon la loi de son Dieu » les institutions et la vie privée de ses coreligionnaires. Il partit avec environ 1,800 Juifs, parmi lesquels se trouvaient bon nombre de prêtres.

Ce fut comme une injection de sang nouveau dans la population alanguie de la Judée. En arrivant à Jérusalem, Esdras et ses compagnons furent navrés du triste état des choses. Prêtres et peuple, tous semblaient avoir oublié leur devoir. Les mariages avec les femmes étrangères surtout avaient les plus déplorables conséquences. Esdras n’y alla pas de main morte. Il convoqua le peuple en assemblée générale, et ordonna le renvoi immédiat des étrangères. Tel était son prestige, son autorité, l’ascendant de sa parole, que quatre hommes seulement osèrent parler de résistance. La foule ne les écouta pas, et se soumit. Il ne fallut que deux mois pour purifier la terre-sainte, et cette mesure, qui nous paraît odieuse, qui l’est en effet, mais qui ne semble pas avoir soulevé de grandes oppositions, produisit son plein effet. Les documens ne disent rien des larmes que durent verser les répudiées et leurs enfans. Il faut d’ailleurs prendre garde de laisser trop de place au sentiment dans nos jugemens historiques. La conscience générale, en se développant, éprouve avec le temps des répulsions profondes contre des lois et des institutions qui provoquent à peine de légers murmures à d’autres époques. Les peuples sont toujours iudulgens pour ceux qui leur imposent les plus rudes sacrifices, à la seule condition que ces sacrifices soient récompensés par le succès.

Pendant les treize années qui suivirent, Esdras resta dans une apparente inaction. Les troubles dont l’empire perse fut le théâtre, l’hostilité des Samaritains, un changement dans les dispositions d’Artaxercès, pourraient expliquer jusqu’à un certain point cette inertie; mais elle doit avoir eu une autre cause plus spéciale et plus locale. L’œuvre essentiellement disciplinaire d’Esdras ne fut reprise avec énergie qu’en 445, à l’arrivée de Néhémie, qui entra dans Jérusalem avec le titre de gouverneur royal, et joignit ses efforts à ceux d’Esdras pour introduire d’autorité des réformes radicales. A peine le nouveau gouverneur était-il installé, qu’une autre assemblée populaire fut convoquée, et qu’on vit se renouveler quelque chose de semblable à ce qui avait eu lieu sous Josias. Un « livre de la loi » fut apporté du sanctuaire, lu devint le peuple, qui ne paraissait pas en connaître exactement le contenu, proclamé loi fondamentale et immuable du peuple de Jehovah. Il en résulta une sorte de covenant en vertu duquel tous les Juifs, à commencer par