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Cet homme fut Ézéchiel-ben-Buzi, une des figures les plus originales de l’histoire juive. Il était prêtre attaché au temple de Jéruralem, lorsqu’en 597 la première déportation de notables fut ordonnée par le roi de Babylone, vainqueur du roi juif Jechonias. Il fut compris parmi les condamnés à l’exil, on ne sait pour quelle cause. Ce dut être pour lui un coup terrible. Ézéchiel n’était pas seulement un patriote, il était prêtre dans toute la force du terme, un de ces hommes qui ne savent pas vivre en dehors des préoccupations sacerdotales, et pour qui l’observation régulière d’un rite équivaut au maintien d’une institution fondamentale de l’état. L’arracher au temple, à ses fonctions quotidiennes de prêtre de Jehovah, c’était le frapper au cœur, et sans aucun doute c’est au malheur qui vint affliger sa jeunesse que ses prophéties doivent la couleur sombre, le ton amer, qui les distinguent. Ce n’est pas la mélancolie d’un Jérémie ni l’âpre rudesse d’un Amos, c’est le fiel d’une âme ulcérée dont rien n’adoucira les implacables rancunes. On sait qu’il n’était pas délicat dans le choix de ses images, que, pour exprimer son horreur du mal ou l’excès de ses douleurs, il les empruntait parfois aux régions du réalisme le plus cru. Comme cet homme a su vigoureusement haïr ! Il n’est pas plus tendre pour ses compatriotes que pour les étrangers ; il leur reproche sans aucune atténuation leurs erreurs et leurs fautes, et, bien loin de partager les illusions de ceux qui se cramponnaient à l’espoir d’un prompt changement opéré par le bras du Dieu fort et d’une prochaine restauration de la patrie juive, il est plutôt pénétré de l’idée que la coupe du malheur n’est pas épuisée, que le châtiment n’est pas encore proportionné aux fautes commises. En cela, il voyait juste. Les révoltes ultérieures du peuple juif ne firent qu’aggraver sa position, et pendant son exil Ézéchiel vit se consommer la ruine complète de tout ce qu’il aimait.

Croyait-il à l’anéantissement définitif de sa patrie ? Certainement non. Pareille idée ne pouvait entrer dans l’esprit d’un Juif fidèle. Il croyait à la conversion finale de son peuple, et comme conséquence à son rétablissement glorieux. Ses écrits sont pleins des prévisions qu’il se plaisait à énoncer sur l’avenir des différens peuples, et peu d’anciens documens sont aussi riches en données archéologiques des plus précieuses. Par exemple, il en veut particulièrement à Tyr, l’orgueilleuse et opulente cité commerçante qui s’est réjouie de l’abaissement de Jérusalem; il énumère avec une étonnante exactitude les articles de négoce dont l’échange faisait la richesse de cette ville, les tribus nombreuses qui trafiquaient avec elle, mais c’est pour mieux faire ressortir la sévérité du jugement qui frappera la reine de la mer. Il n’est optimiste que dans l’avenir ; là, il s’abandonne aux rêves dorés. Il croit au retour des Israélites dans leur