Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme les peintures de Jean Cousin sont extrêmement rares, il est fort difficile de prononcer un jugement absolu sur la nature de ses facultés; à tout le moins nous ne l’aurions pas osé tant que nous n’avions vu de lui que le Jugement dernier du Louvre. Depuis que nous avons vu l’Ève première Pandore, nous pouvons être plus hardis. Ce qui nous frappe dans l’une et l’autre de ces œuvres, c’est une merveilleuse faculté d’assimilation, toute semblable à cette opération de la nature par laquelle le corps transforme en sa propre substance les alimens qu’il reçoit. Le Jugement dernier est une combinaison harmonieuse de la science de composition de Michel-Ange et du coloris vénitien; l’Eve première Pandore donne en même temps les deux sensations d’un chef-d’œuvre du Titien et d’un chef-d’œuvre de Léonard de Vinci. En contemplant ce tableau, on ne peut chasser de son souvenir ces splendeurs de la chair dont les magnifiques nudités du Titien ont si souvent étonné nos yeux. Elle vient incontestablement du Titien, cette pose si bien choisie pour faire ressortir les lignes du corps; ils en viennent aussi, ces plis gracieux que forment les chairs par la manière dont le buste se redresse. Encore moins peut-on s’empêcher de se rappeler la fascination magnétique et la profondeur psychologique des œuvres de Léonard de Vinci. L’un et l’autre de ces deux grands artistes sont là reconnaissables, et cependant ce n’est ni l’un ni l’autre.


II. — JOIGNY. — SOUVENIRS DE FLORENCE.

Joigny est une petite ville à la physionomie à la fois âpre et charmante qui combine les traits de deux époques bien tranchées. Bâtie sur le flanc d’une colline comme une cité du moyen âge qu’elle est, ses maisons, dont un très grand nombre conservent les pittoresques sculptures et les amusantes enseignes d’autrefois, semblent grimper avec effort vers le château, situé au sommet comme vers leur citadelle de défense et le lieu de refuge de leurs habitans ; mais la belle rivière de l’Yonne qui coule à ses pieds, les larges quais qui bordent le fleuve et les vastes promenades qui l’avoisinent modifient ces allures guerrières d’un autre âge par des aspects pacifiques pleins de douceur et des paysages pleins de repos. Le grand charme de Joigny, c’est l’Yonne, et on ne saurait dire avec quel bonheur on salue cette rivière, lorsqu’on la rencontre pour la première fois en remontant du sud, après quelque temps de séjour en Bourgogne. Enfin, voilà donc un vrai fleuve, au cours mesuré et d’une aimable lenteur, dont les eaux limpides peuvent servir de miroir aux astres du ciel, et nous disons adieu sans retour à toutes ces rivières borgnes qui ne peuvent même refléter leurs rives, l’Ouche, la Suzon,