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dues pusillanimes jusqu’à la servilité, mieux comprise, montrait la route à suivre, les méthodes à employer et le but à atteindre. De là l’anglomanie du XVIIIe siècle, dont la cause doit être cherchée non dans une vaine imitation de la mode, mais dans ce sentiment plus profond de la haute société française, anglomanie qui commença dès la régence, fut inaugurée avec la politique de Philippe d’Orléans et de Dubois, se continua par les opinions philosophiques et littéraires, et fut enfin vulgarisée pour ainsi dire et étendue par la mode des classes privilégiées de la nation à la nation entière sous le règne de Louis XVI. Le succès des opinions antireligieuses du XVIIIe siècle doit être cherché, comme l’enthousiasme pour l’Angleterre, dans ce même sentiment de réaction des hautes classes françaises contre le pouvoir qu’elles subissaient depuis un siècle. Au fond, qu’était la monarchie absolue, sinon l’œuvre de l’église, qui l’avait fondée cruellement dans le sang de la noblesse par la main de deux cardinaux, qui ensuite l’avait affermie, consacrée, bénie, qui en avait donné la théologie pour ainsi dire, et qui dans des livres immortels avait présenté, comme d’essence éternelle et d’origine immuable, un gouvernement né de la veille et dont leurs pères avaient vu le commencement? De là le courant libertin et profane qui parcourut la société française au XVIIIe siècle, et comment l’église fut enveloppée dans la même réprobation que la monarchie. J’expose simplement ici les sentimens qui me paraissent avoir été ceux de la noblesse française; je ne prétends ni les justifier ni les combattre. Il me suffit que cet exposé soit assez clair pour se laisser comprendre.

Pour secouer les pénibles souvenirs des imprudences politiques qui nous ont fait les lamentables destinées que nous subissons, allons amuser nos yeux du roman de saint Eutrope peint sur les vitraux d’une des premières fenêtres de l’église. C’est un véritable roman en effet que l’histoire de saint Eutrope, et, qui plus est, un roman d’amour, ainsi que nous le laissent supposer les obscurités de son légendaire, et surtout le caractère particulier des dévotions populaires qui se sont attachées à sa mémoire et à celle de la sainte qui lui fut chère. Eutrope était le fils d’un roi, du roi de Babylone, dit la légende, ce qui signifie probablement un jeune Grec ou Syrien de l’Asie-Mineure, de noble race et de puissante parenté. Enflammé du zèle de l’Évangile, il abandonna, dans la pleine fleur de la jeunesse, honneurs, richesse et puissance, et, malgré l’opposition de son père, il partit de son palais pour aller chercher à travers le monde de saintes aventures. Le hasard de ses voyages le conduisit enfin dans le pays des Santones, à Saintes, qui portait alors le nom de Mediolanum, que certains érudits traduisent par celui de ville