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nous, mais pour elle-même, pour l’intérêt européen, pour l’équilibre du continent, pour l’intégrité des alliances libérales en face des prépotences abusives, de quelque nom qu’elles se nomment, qu’elles s’appellent la Prusse ou les États-Unis.

C’était le mérite de ces alliances libérales de ne pouvoir devenir un obstacle à aucun développement légitime des peuples, de n’être fortes et décisives que contre les déchaînemens de l’esprit de conquête et de la force. Aujourd’hui l’esprit de conquête a triomphé, la France a été vaincue, l’Angleterre n’y a pas gagné en influence ou en sécurité, et il n’est pas bien certain que l’Allemagne elle-même ne finisse par souffrir des violences faites en son nom à la nature des choses. Que M. de Bismarck soit occupé à constituer l’unité allemande, c’est son droit, c’est son rôle ; il ne se plaindra pas sans doute que la France le gêne ou lui porte ombrage, il est libre dans ses mouvemens. À l’heure qu’il est, M. de Bismarck tourne ses coups d’un autre côté, il trouve devant lui des résistances qui ne laissent pas de l’inquiéter, puisqu’il a cru nécessaire tout récemment de les combattre de sa parole dans le parlement de Berlin. C’était à propos de la discussion du budget et de la suppression de la direction catholique au ministère des cultes : le chancelier allemand, répondant à un député du Hanovre, M. Windthorst, a prononcé un discours qui ressemble à un manifeste. M. de Bismarck, en vérité, est pour le moment fort occupé de religion, surtout de l’opposition catholique, qui commence à devenir assez vive en Prusse comme en Bavière, qui a même réussi à former un groupe parlementaire de quelque importance à Berlin, et pour combattre cette opposition il s’est fait libéral ; il déploie ses talens de stratégiste contre les ultramontains, contre les partisans de l’infaillibilité du pape, contre tout ce qu’il appelle « l’Internationale noire. » La nomination d’un nouveau ministre des cultes, M. Falk, à la place de M. de Muhler, se rattache en partie à cette évolution. La suppression de la direction catholique, la réforme de l’inspection des écoles qui vient d’être adoptée, rentrent aussi dans cet ordre de combinaisons.

Bref, la guerre est engagée, l’esprit confessionnel tend à envahir la politique, et le chancelier allemand ne manquera pas d’alliés. Assurément M. de Bismarck est toujours dans son rôle en défendant les droits de l’état contre les empiétemens du clergé et contre les passions confessionnelles ; s’il ne faut que cela pour être libéral, il l’est complètement. Ce serait cependant de la part des libéraux européens une naïveté singulière de se laisser prendre à ce genre de libéralisme. M. de Bismarck est libéral aujourd’hui comme il est féodal un autre jour. Qu’on soit catholique ou protestant, partisan ou adversaire de l’infaillibilité du pape, cela lui est absolument égal. Ce qu’il voit, ce qu’il poursuit dans l’opposition catholique d’aujourd’hui, c’est la dernière forme du particularisme en Allemagne. C’est là ce qui peut oppo-