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que, dans cette action permanente du gouvernement, il y ait de la fixité, de l’initiative, une certaine force d’impulsion communicative et entraînante. M. Thiers est sans doute l’inspiration supérieure de la politique, s’il ne règne pas, si, comme on l’a dit spirituellement, il laisse le règne à l’assemblée, c’est lui qui gouverne ; mais M. Thiers, malgré sa prodigieuse activité, ne peut tout faire ; le ministère a aussi sa part, comme il a sa responsabilité dans cette œuvre d’administration publique, devenue aujourd’hui plus difficile et plus délicate que jamais, et sous ce rapport la retraite récente de M. Casimir Perier laisse un vide que M. Thiers a été probablement le premier à ressentir. M. Casimir Perier était au pouvoir comme dans le parlement un esprit libéral et droit, alliant la fermeté à la modération ; sa présence aux affaires était une garantie. Il a certainement poussé jusqu’au scrupule le plus extrême le respect des règles parlementaires en se retirant pour cette proposition de retour à Paris, en faveur de laquelle l’ancien ministre de l’intérieur s’était prononcé, et que l’assemblée, encore émue des incidens du mois dernier, n’a point voulu admettre. Ce vote de la chambre n’avait en effet rien d’hostile contre lui. Malgré tout, M. Casimir Perier a cru devoir persister dans sa résolution. Si nous vivions sous un régime parlementaire fidèlement pratiqué par tout le monde, cet incident ne laisserait pas d’être assez singulier, puisque le nouveau ministre de l’intérieur avait voté, lui aussi, pour le retour à Paris, et que M. Casimir Perier a reçu dans sa retraite les témoignages les plus manifestes de la confiance de ses collègues de l’assemblée ; mais on n’en est pas là. M. Casimir Perier a pour successeur au ministère de l’intérieur le ministre du commerce, M. Victor Lefranc, qui est remplacé lui-même par un membre de l’assemblée, M. de Goulard, qui avait été nommé ministre de France en Italie, et qui se trouve ainsi dispensé d’aller à Rome, où tous les chemins ne conduisent pas depuis quelque temps, à ce qu’il paraît, surtout quand on part de Versailles.

Au fond, ce changement n’a point, cela est bien clair, une sérieuse signification. C’est un déplacement d’hommes, ce n’est pas la reconstitution d’un ministère. Aujourd’hui comme hier, pour le gouvernement, la vraie question est d’agir, de ne pas se laisser déborder par les petites préoccupations et les incidens subalternes de la politique. Ce n’est plus le moment de se laisser aller aux susceptibilités, aux suggestions personnelles ou aux inspirations de l’esprit de parti. C’est pour le gouvernement une impérieuse obligation d’avoir une pensée précise et une main ferme, d’agir avec un certain ensemble, car tout se tient dans cette grande œuvre de reconstitution, qui est en quelque sorte l’épreuve de notre vitalité nationale. Les atermoiemens et les palliatifs peuvent être quelquefois commodes, ils sont aujourd’hui pour nous ce qu’il y a de plus dangereux au monde, une perte de temps et de force. Qu’on y songe donc, que d’une main on fasse sentir au pays l’influence décisive d’une