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deviendront des foyers d’indépendance légale quand on leur rendra justice, car elles ont pour principe l’initiative privée, tandis que l’autre est arbitraire et envahissante. Leur origine même indique qu’il faut les laisser se former d’elles-mêmes, et leur histoire prouve que les. moyens violens et les règlemens n’y peuvent rien ; ce qu’il faut, c’est le maintien des lois qui suppriment les entraves et une instruction qui en fasse connaître les avantages. Il appartient aux hommes, réfléchis de ne pas se laisser abuser par la ressemblance des mots, et de distinguer parmi les erreurs de leurs adversaires la lueur de raison qui les rend accessibles à la vérité.

En Angleterre, l’agriculture ne peut que gagner aux associations privées. On y préfère la grande culture à la petite ; une fois le droit d’aînesse aboli, les domaines trop étendus se démembreront peu à peu. Des sociétés agricoles les recueilleront avant qu’ils ne se divisent à l’excès, et suivront les traditions des gros fermiers ; mais leur liberté n’aura rien de commun avec la protection tyrannique que M. Stuart Mill a imaginée : on leur laissera le stimulant de la spéculation et la jouissance des avantages naturels de la terre, car l’œuvre avorte, si l’état enlève aux particuliers le désir de l’entreprendre.

Au fond, les radicaux d’Angleterre ne diffèrent pas beaucoup de ceux de France. Ils ont plus de méthode et plus d’habileté ; mais des deux côtés de la Manche les menées ou les raisonnemens visent au même but : ouvrir à tout prix des voies nouvelles et changer la direction du progrès. Ils font un grand usage de ce mot, et le sens qu’ils lui prêtent inspire aux gens timorés le dégoût de la chose ; le progrès qu’ils imaginent ne ressemble en rien au véritable. Quand on parle de marcher en avant, on n’entend pas aller au rebours de la nature ; on sait que l’homme ne s’est pas créé tout entier : si la réflexion l’aide à corriger le désordre des instincts, s’il peut améliorer son sort, c’est à la condition de respecter les qualités essentielles de l’espèce. Voilà pourquoi en politique la rigidité des principes doit fléchir dans l’application ; ce n’est pas une vaine question de ménagement, de timidité : c’est que le principe renferme seulement une part de vérité, et que pour le reste il faut attendre que la vérité se révèle d’elle-même par l’expérience. Alors les observations sont plus répétées, les idées générales plus exactes, et l’influence en est moins disputée ; les lois humaines, d’accord avec celles de la nature, maintiennent un juste équilibre entre la vie des sociétés et celle des individus, et le progrès devient, comme toute œuvre durable, le fruit de l’expérience et du raisonnement. L’imagination de M. Mill lui donne le change : il se figure que la nature vient se ranger d’elle-même sous nos lois, que notre