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que le chef de famille, mieux pourvu de terres que de capitaux, ne peut trouver dans son maigre trésor les fonds nécessaires aux frais croissans de l’exploitation. Enfin l’état n’a pas contenu par un impôt régulièrement assis l’essor rapide de la rente territoriale. Sans doute l’aristocratie anglaise, par un hommage tacite à l’égalité et à la raison, surtout par nécessité politique, a payé de nombreux sacrifices sa grande influence et ses privilèges arriérés. Pitt, à bout de ressources, a pu la rançonner en lui faisant racheter le capital d’un impôt imaginaire, ses défenseurs même, obéissant à l’opinion publique, ont dû ouvrir le marché anglais aux céréales étrangères ; mais ces concessions accidentelles ne devaient effacer ni la haine du monopole encore vivant, ni le regret des améliorations dont il privait l’agriculture. « Les lois de la terre, dit M. Stuart Mill, ont été faites à un âge où les maîtres du sol en étaient les conquérans ; il ne faut donc pas s’étonner si elles attendent une réforme… Le but de l’association est de déclarer la guerre aux vestiges de la féodalité, et son espérance d’être soutenue par tous les vrais libéraux, sans en excepter ceux dont la hardiesse réclame des changemens plus graves. »


II

En effet l’association propose, dans les premières lignes de son manifeste, de briser les entraves dont la loi et le fisc ont entouré la transmission de la terre : on abolirait le droit de primogéniture et toutes ces dispositions arbitraires qui ont pour objet d’enchaîner le sort de la terre. Des liens asservissent le sol au succès d’une doctrine politique ; si M. Mill, satisfait de les avoir rompus, se bornait à détruire un privilège historique pour atténuer les effets d’un monopole naturel, il se ferait l’apôtre de l’égalité civile ; un jour, la nation, docile à ses conseils, mettrait aux enchères les immenses domaines de la noblesse, et la rente territoriale, entre les mains de l’acquéreur, ne serait plus qu’un juste profit.

Reste à savoir si la nation tout entière ne gagne pas à maintenir son aristocratie ; M. Stuart Mill hésiterait peut-être à la sacrifier, si, de philosophe, il devenait tout à coup homme d’état. On a vu de ces conversions subites, parce que l’exercice du pouvoir instruit mieux que vingt ans d’études. Est-il donc inutile, chez un peuple fort absorbé par le négoce, d’avoir une noblesse moins acharnée à s’enrichir qu’attentive à ne point déchoir ? Celle-ci a tant de qualités qu’elle fait l’envie des autres nations. Elle offre à l’émulation des Anglais les plus beaux types du caractère national, et à leur respect les souvenirs les plus vivans de leur histoire ; on l’a vue contenir et diriger, même à ses dépens, la politique de l’Angleterre, qu’elle