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en atténuent les inconvéniens sans blesser les droits des particuliers. C’est une des œuvres les plus durables de la révolution. Est-ce encore un monopole, celui dont tant de gens se partagent les bénéfices ? A mesure qu’on étend le nombre des favorisés, l’avantage dont ils se prévalent cesse d’être une faveur. Ce qui leur reste encore de supériorité tourne au profit de tous, fournit un stimulant à l’activité, et, la spéculation aidant, sert à compenser par un peu de bonheur le hasard des chances contraires. Que le monopole ne soit pas entièrement détruit, que des causes fatales aient créé des supériorités naturelles, est-ce une raison pour régler arbitrairement le prix des céréales ? Ce serait frapper de stérilité les terres moins bonnes, dont cependant la consommation réclamé le produit, ce serait décourager les capitaux tout prêts à féconder un sol ingrat dans l’espoir d’en tirer un profit moindre, mais raisonnable, et réduire sans motif le revenu d’autres capitaux qui avaient payé cher les avantages des terres fertiles et qui avaient droit de les voir durer. On l’a fait cependant en 93 ; mais, dès l’année suivante, le système du maximum était abandonné ; la convention, qui décrétait la victoire, n’a pu vaincre la résistance des lois naturelles.

Sans doute, on n’a pas vu en France les capitaux s’emparer tout à coup de la terre par des ventes régulières : sans parler des biens nationaux, quand on cherche dans le passé, les acquisitions sont rarement légitimes en commençant ; mais, si l’on jette les yeux sur l’état présent du pays, il y a peu de propriétés dont les derniers titres n’aient été payés argent comptant. Ceux qui ont été transmis par succession ou donation empruntent leur légalité aux clauses d’un contrat plus ancien ; presque toujours, à l’origine d’une possession, on découvre le prix du travail et de l’épargne, qui sont les parchemins des peuples civilisés. Les détracteurs ou les partisans de la propriété oublient trop souvent qu’ils jugent des faits sociaux contemporains, qu’on ne doit pas les isoler des faits juridiques qui les entourent et qui les justifient. Ces philosophes n’avaient qu’à regarder à leurs pieds pour trouver la naissance des droits qu’ils voulaient défendre ou combattre ; ils ont fait tout le contraire : pour comprendre la société ? ils ont commencé par rompre avec elle ; ils ont voulu remonter la chaîne des traditions historiques jusqu’aux ténèbres de la barbarie, et démêler dans le chaos des premières conquêtes les titres de la propriété. Que l’écrivain s’appelle de Maistre ou Proudhon, l’erreur est la même. Moins aveuglés par la passion, ils eussent discerné chez nous, à la place des privilèges abolis, le prix du travail libre et le sceau des conventions librement formées. La loi impartiale ne se propose pas de redresser les inégalités naturelles, comme la supériorité des bonnes terres ; elle en fait le prix de l’effort, toujours possible, et de l’épargne, toujours respectée.