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à la fois. La simple vue d’un objet qui l’inquiète amène aussitôt ces changemens ? ils ont été pendant longtemps un mystère pour les anatomistes. Voyant apparaître, puis disparaître instantanément la couleur, on crut qu’elle s’enfonçait dans les tissus, d’où elle remontait à la surface de la peau par tout un système de conduits spéciaux. Grâce aux récens progrès des sciences et surtout à l’application du microscope binoculaire, qui montre les plus petits objets en perspective, on sait aujourd’hui comment expliquer ces effets de coloris qui parurent à nos devanciers si extraordinaires et dont ils ont donné parfois les plus fausses interprétations. Peut-être verrons-nous un jour quelque directeur d’un de nos théâtres en quête de nouveauté reproduire sur la scène par un procédé analogue à celui qu’emploie la nature la même magie de coloris insaisissable et changeant comme cette robe dont parlent les contes de fées, qui était « couleur du temps. » Imaginons qu’au plus loin de la scène et du regard du spectateur on dispose contre un fond, qui sera bleu par exemple, une multitude d’éventails assez rapprochés pour couvrir ce fond et se recouvrir eux-mêmes en partie quand ils seront grands ouverts. Ces éventails sont de trois sortes, des roses, des jaunes et des bruns entremêlés. Supposons maintenant, et ceci n’a rien d’impossible, que tous les éventails bruns peuvent s’ouvrir par un truc et de même tous les roses et tous les jaunes. Quand les éventails seront fermés, le fond, que nous supposons placé dans le lointain d’un décor habilement éclairé, ménagé, paraîtra bleu : c’est sa couleur ; mais que le machiniste subitement imprime une impulsion au truc des éventails roses, ils s’ouvriront soudain, et le fond paraîtra lilas par le mélange du bleu et du rose, s’ils ne sont qu’à moitié déployés. En combinant l’action des trois mouvemens, on fera courir sur le fond mille nuances auxquelles l’œil du spectateur ébloui ne saura plus donner un nom. Cette fantaisie théâtrale est exactement ce qui se passe dans la seiche. Il y a là aussi de petits éventails jaunes, rougeâtres ou bruns. Fermés, ce sont des points qu’on distingue à peine sous la peau ; avec un peu d’attention, on les voit s’étaler subitement en nappes larges d’un quart de millimètre. La cause en est à des filamens microscopiques attachés au pourtour de ces points et qui les tiraillent dans tous les sens en se contractant.

C’était un grand pas que d’avoir pénétré la mécanique de ces changemens, mais il restait un autre côté du problème. Ces contractions et ces relâchemens subits qui modifient la couleur sont-ils réglés par la bête, ou apparaissent-ils indépendamment de sa volonté, comme le signe d’une émotion comparable à la rougeur des joues dans la honte ou à la pâleur de la crainte ? Et comme nous ne pouvons pénétrer ce qui se passe dans le for intérieur du voisin,