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Oui, j’avoue que, de vingt-cinq à trente ans surtout, nous sommes toutes un peu perverses, parce que nous sommes toutes un peu folles. Nous sommes enivrées de l’orgueil de la beauté quand nous sommes belles, et de celui de la vertu quand nous sommes vertueuses ; mais quand nous sommes l’un et l’autre, oh ! alors il n’y a plus de bornes à notre vanité, et l’homme qui ose douter de notre force devient un ennemi mortel. Il faut le vaincre, à tout risque, et pour le vaincre il faut le rendre amoureux ; quel prix aurait son culte, s’il ne souffrait pas un peu pour nous ? Ne faut-il pas qu’il expie son impiété ? Alors on s’embarque avec lui dans cette coquille de noix qu’on appelle la lutte, sur ce torrent dangereux qu’on appelle l’amour ; on s’y joue du péril et on s’y tient ferme jusqu’à ce qu’un écueil imprévu, le moindre de tous, peut-être un léger dépit, une jalousie puérile, vous brise avec votre aimable compagnon de voyage. Et voilà le résultat très ordinaire et très connu de ces sortes de défis réciproques. On commence par se haïr, puis on s’adore, après quoi on se méprise l’un et l’autre quand on ne se méprise pas soi-même. Il eût été si facile pourtant de se rencontrer naturellement, de se saluer avec politesse et de passer son chemin sans garder rancune d’un mot léger ou d’une bravade irréfléchie !

ANNA

Ma chère, tu parles d’or ; mais moi, bonne femme, paisible et connue pour telle, je ne vois pas le but de cette confession, et je trouve qu’elle dépasse mon expérience. Je te laisserai donc implorer de monsieur l’absolution de tes fautes, et je me retire…

LOUISE

Sans l’inviter chez toi ?

ANNA

Sans l’inviter. Je n’ai rien à me faire pardonner, puisqu’il est convaincu que je le tiens pour un ange !

VALROGER

Me sera-t-il permis d’aller au moins vous présenter mes actions de grâces ?

ANNA

Oui, monsieur, au château de Trémont, (Bas à Louise.) où je ne remettrai jamais les pieds ! (Elle sort.)


Scène IV

Louise, Valroger

LOUISE

Savez-vous bien que me voilà brouillée avec madame de Trémont ?

VALROGER