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Dans la peinture de tous ces manèges et de toutes ces intrigues, on aura pu, même à travers une traduction, apprécier la touche d’Isée et sa légèreté de main. Voici maintenant les réflexions que lui suggère le tableau qu’il vient de tracer :


« Il faudrait, ô juges, que tous ceux qui viennent ainsi réclamer une fortune à titre de donation testamentaire, quand le tribunal déclarerait leur demande mal fondée, fussent frappés non par la perte d’une consignation dont le montant est réglé une fois pour toutes par un tarif, mais par l’obligation de payer une somme égale à la valeur du patrimoine dont ils avaient espéré se rendre indûment possesseurs. S’il en était ainsi, on ne verrait plus les lois méprisées, les familles outragées par ces spéculateurs, et la mémoire des morts insultée par tous leurs mensonges. Puisqu’il n’en est pas ainsi, et que, sans autre règle que son caprice, on peut élever des prétentions sur le bien d’autrui, il faut du moins, juges, que vous apportiez le plus grand soin à vérifier toutes ces assertions, et que vous ne négligiez rien pour décider en connaissance de cause. »


Nous avons tenu à citer ces réflexions, par lesquelles se termine l’exorde ; elles montrent comment, dans Isée, à côté du peintre de la vie et des mœurs, se trouve toujours le légiste, préoccupé ou de bien mettre en lumière les principes du droit athénien ou d’en signaler les lacunes et les défauts. L’orateur cherche ensuite à établir comment doivent procéder les tribunaux pour arriver à rendre un juste arrêt, lorsqu’ils ont à prononcer sur une hérédité testamentaire ; il veut prouver qu’en l’absence de la seule personne dont la parole pourrait trancher le débat, on doit attacher ici plus d’importance aux preuves morales qu’à des témoignages dont la plupart n’offrent pas de garanties suffisantes. Nous en avons d’ailleurs assez dit déjà pour faire connaître cette face du talent d’Isée ; il nous reste surtout à montrer que, pour entrer plus avant que ses prédécesseurs dans les questions de droit, il n’a pas moins de finesse, de mouvement et d’art. Là encore, nous n’aurions que l’embarras du choix. Nous pourrions prendre dans le discours sur l’héritage de Philoctémon le piquant récit des sottises d’un vieillard presque tombé en enfance, dont s’empare une courtisane hors d’âge. Pour celle-ci, le pauvre homme néglige et dépouille sa femme, ses fils et ses gendres. Un des parens, Androclès, s’est mis dans le parti de la maîtresse ; pour mieux l’aider à exploiter son amant cacochyme, il est venu se loger dans la maison voisine et s’est fait son instrument et son receleur. Quand le vieillard Euctémon a rendu le dernier soupir, les deux complices continuent ce pillage. C’est ce que raconte l’orateur avec un sincère accent de tristesse et d’indignation :