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prouve un exemple tiré du discours d’Isée qui a pour titre : De l’héritage de Dicéogène. On y voit un citoyen décédé sans enfans laisser au fils d’un de ses amis une partie de sa fortune en l’adoptant par acte testamentaire. «  Ce Dicéogène, dit Isée, est ainsi devenu, pour le tiers de l’héritage, le fils adoptif de Dicéogène, fils de Ménéxène, notre oncle. » Or la loi de Solon qui avait institué à Athènes le droit de tester le refusait à tout citoyen qui laissait des enfans légitimes ; celui-ci ne pouvait même pas disposer à titre de legs d’une partie des biens. Si le fils adoptif eût été assimilé au fils donné par la nature, il aurait reçu, par le fait même de l’adoption, la totalité de la fortune. En réalité, tout ce qui le distingue ici des légataires qui en recueillent les deux autres tiers, c’est qu’il est considéré comme le vrai successeur du défunt et son propre représentant. À ce titre, la maison patrimoniale lui est sans doute attribuée, et, quoique la plus grande part de l’héritage lui échappe, c’est lui qui est chargé de rendre au mort les honneurs accoutumés et de continuer les sacrifices aux ancêtres. C’est là le seul caractère qui le sépare de ses cohéritiers. On peut même dire qu’à certains égards sa situation est moins avantageuse que la leur, car l’adoption, bien qu’elle eût perdu de sa force primitive, faisait encore perdre à l’adopté tout droit à succéder aux biens de la famille qu’il avait quittée.

La loi, qui désirait favoriser et multiplier les adoptions, s’était préoccupée de corriger les inconvéniens de cette situation : il ne fallait pas que l’intérêt détournât les citoyens de se prêter à relever ainsi les maisons qui menaçaient de s’anéantir. Comme le prouvent de nombreux passages d’Isée, pour avoir le droit de rentrer dans votre famille naturelle, il vous suffisait de laisser en votre lieu dans la famille adoptive un héritier légitime chargé de la continuer : un de vos fils, si vous étiez marié, ou bien quelqu’un que vous adoptiez à votre tour. Pendant le temps même que vous demeuriez dans la maison étrangère, la loi avait soin de vous conserver tout au moins les droits que vous teniez du chef de votre mère ; on ne perdait que ceux qui découlaient du père auquel on avait renoncé.

La loi n’avait donc pas à Athènes la même puissance qu’à Rome pour créer des liens artificiels ; cette parenté de choix que constituait l’adoption ne s’y confondait pas au même degré avec la parenté de la chair et du sang. Si, à cet égard, Rome semble avoir conservé mieux qu’Athènes la tradition du vieux droit religieux fondé sur la continuité de la famille et des sacrifices, Athènes, de son côté, y était restée plus fidèle en ce qui regarde le droit de tester. Aussi loin que nous remontons dans l’histoire de Rome, nous y trouvons pour le père de famille pleine et entière liberté de