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plus secrets, les sentimens les plus obscurs et les plus profonds de telle ou telle variété de l’âme humaine. Il n’est point de matière juridique qui demande moins d’efforts à la mémoire, où on trouve plus de concordance et de clarté ; tout y est dominé par quelques instincts primitifs et quelques idées élémentaires, par la manière dont telle ou telle race a constitué la famille, conçoit la vie et se représente la destinée de l’homme après la mort. En ce qui concerne Athènes, aucun auteur ancien ne nous aide autant qu’Isée à comprendre le droit qui y règle les successions, à le rétablir dans son unité logique et son antique originalité ; pour la science moderne, qui travaille avec une curiosité si passionnée à faire revivre l’image des sociétés évanouies, c’est une rare bonne fortune que la conservation de ces onze plaidoyers d’Isée. Depuis la renaissance jusqu’à nos jours, les rares critiques qui avaient pris la peine de les commenter ne les avaient guère étudiés qu’au point de vue de l’art ou de la langue ; l’érudition de notre siècle en tire un tout autre parti. On trouve dans ce recueil une assez grande variété d’affaires, et, pour employer le terme technique, assez d’espèces différentes pour en extraire de précieux renseignemens sur ce genre de procès, on y trouve cités de nombreux textes de loi ; de plus, l’orateur ne s’en tient pas aux textes qu’il allègue pour le besoin de sa cause, il cherche à en dégager la pensée dont s’est inspiré le législateur, il s’élève jusqu’aux principes et aux axiomes du droit. Ce qu’il apporte de finesse et de précision dans ce travail, qui était alors toute une nouveauté, on en jugera par les passages que nous aurons l’occasion de traduire ; il est impossible en effet de parler d’Isée sans essayer de présenter, d’après lui, une esquisse des lois suivant lesquelles à Athènes les biens se transmettaient de génération en génération.

Ce qui domine tout ce système d’institutions, c’est cette vieille religion commune à tous les peuples de race aryenne, ce culte héréditaire des morts et du foyer domestique dont M. Fustel de Coulanges a fait l’histoire dans son remarquable livre la Cité antique, — c’est cette idée, qu’il n’est point pour l’homme de plus grand malheur que de mourir sans laisser après lui un héritier qui continue la famille et qui prenne sa place dans l’état, c’est cette pensée, que la cité est intéressée à ne voir s’éteindre aucun foyer, aucune famille disparaître. Nous autres modernes, quand, préoccupés de l’avenir nous songeons à laisser derrière nous quelqu’un qui continue notre action et notre personne, c’est surtout au nom que nous tenons. C’est le nom qui est pour nous le symbole même de la famille, qui rappelle ses traditions de probité, d’honneur et de gloire ; c’est par le nom que les fils représentent leurs pères aux yeux des générations qui se succèdent sur la scène mobile du monde. Rome républicaine,