Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du parcours et par le chiffre des dépenses d’établissement, révèlent dès à présent l’ambition d’être considérés comme les embranchemens futurs d’une grande ligne.

Il n’y a eu jusqu’ici de concessions que dans le tiers de nos départemens ; mais on sait que la dernière session des conseils-généraux a été très féconde en nouveaux projets. On a voté des milliers de kilomètres, et des millions en conséquence. Cette fois il n’y a pas à se méprendre. Parmi les projets qui ont reçu un accueil favorable, il en est un certain nombre qui préparent une concurrence au grand réseau. L’intention ne prend même plus la peine de se dissimuler, elle s’affiche avec un luxe qui ne conviendrait pas à la modestie d’une entreprise purement locale, et elle circule en prospectus très explicites. La récente loi de décentralisation (10 août 1871) a favorisé ces combinaisons en permettant aux conseils-généraux de se concerter directement entre eux pour les intérêts qui seraient communs à plusieurs départemens, de faire des actes et de conclure des traités pour lesquels ils n’ont plus à se renfermer dans les limites de leur territoire respectif : disposition très sage, très libérale, qui peut devenir fort utile, mais à la condition d’être appliquée à propos, de ne point se tourner contre les lois existantes, et spécialement de ne pas transformer en affaires locales des questions qui touchent aux intérêts généraux du pays. Or, au moyen de cette action commune qu’il est désormais possible d’établir entre plusieurs conseils-généraux, des entrepreneurs ont fait adopter des chemins de fer qui, traversant plusieurs départemens et affectant dans chacun d’eux le caractère local, forment réellement une ligne unique de plusieurs centaines de kilomètres, c’est-à-dire une ligne d’intérêt tout à fait national. On comprend d’ailleurs que les assemblées départementales, élues d’hier, se soient laissé facilement séduire par ces nombreux plans de voies ferrées que les populations voient toujours avec faveur, et qu’elles tiennent à montrer en même temps et la puissance de leurs nouvelles attributions et leur sollicitude pour les régions qu’elles représentent. Si donc tous les chemins de fer qui ont été adoptés dans la dernière session venaient à être exécutés, il s’ensuivrait une dépense totale de plusieurs centaines de millions, s’ajoutant aux 260 millions déjà engagés, et un réseau de plusieurs milliers de kilomètres. Cet état de choses provoque de sérieuses réflexions.

Il ne s’agit plus seulement ici de la loi de 1865, manifestement violée ; l’exposé de motifs de cette loi et le rapport rédigé par M. le comte Le Hon, au nom de la commission législative, ne laissent aucun doute à cet égard : il s’agit du système général suivant lequel a été constitué l’ensemble du réseau. A l’extension abusive des